CHANSONS EN BRETON SUR FEUILLES VOLANTES

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Les chansons bilingues Breton / Français ou Français / Breton

dans le répertoire sur feuilles volantes

 

Version longue de l'article publié par Serge Nicolas dans Musique Bretonne n°175 (Nov. - Dec. 2002) http://www.dastum.com

- 1 - Introduction. Atteindre

- 2 - Classement des chansons Breton / Français (ou l'inverse). Atteindre

- 3 - La position des " collecteurs classiques " sur ces chansons. Atteindre

- 4 - Répertoire de chansons mixtes, Français / Breton ou Breton / Français Atteindre

- 5 - Analyse des chansons. Atteindre

- 6 - Problématique soulevée par ces chansons. Atteindre

- 7 - Les enseignements généraux de ce répertoire. Atteindre

 

Il peut paraître délicat, voire iconoclaste, d'aborder ici une question qui froissera certainement les tenants de la culture bretonne, pure et dure : les textes mêlant le Breton et le Français, et ceci non pas incidemment, sur un mot ou deux, mais de façon organique, systématisée au sein d'une chanson.
Les exemples de ce procédé sont cependant relativement anciens : on peut signaler Chanson al labourer er Porz, (Ollivier n° 438 A), encore chantée actuellement en Gavotte avec des paroles connues, qui débutent par : " Je vous supplie, mademoiselle… ". Or cette feuille est datée de 1893, sur un exemplaire collecté à Brest.


- 1 - Introduction.

Même si cette chanson est encore chantée, il y a des exemples plus récents ; et même des auteurs de chansons et de feuilles qui se sont faits une spécialité de ce type de chansons : on peut citer René Le Gac, de Callac, et Ifig Moal, qui sont certes les premiers à ce " hit-parade " franco-breton ; et en ce qui concerne René le Gac du moins, un des derniers à participer au circuit traditionnel de diffusion des feuilles volantes, à Callac et alentours, dans les années 1950.
Mais ils ne sont pas les seuls : on retrouve ainsi, entre autres : Hervé Tilly avec " chanson yanik fripon " (la chanson de Yannick le Fripon), François Benoît avec " son meried Rosporden " (la chanson des filles de Rosporden), François Le Borgne, de Landeleau, avec " chanson ar brezel " (chanson de la guerre [de 1914]).
D'autres sont moins faciles à déceler sous des initiales comme " G.L. " qui publie " al loened talvoudeg " (les bêtes utiles), et " P. Tr. ", qui est probablement " Paotr Tréouré ", alias Auguste Conq, prêtre, de Plouguin (1874-1952). Recteur de Saint Pol de Léon, il publie une curieuse chanson intitulée : " good onions, very scheap " (sic !) (bons oignons, pas cher) qui, comme le titre l'indique, mélange Anglais et Breton. Parlant de marchands d'oignons, il est difficile en effet de ne pas relier ce texte au Nord-Finistère et à la région de Saint Pol en particulier, connue pour exporter ses primeurs outre-Manche.

La première tentation est certes de rejeter ces textes, en les qualifiant au mieux d' " hybrides " ou de " composites ", donc finalement de peu de valeur.
Ce point de vue doit cependant être relativisé : il faut analyser la problématique à laquelle obéissaient ces chansons dans le contexte de l'époque, et non pas les observer avec les idées qui sont les nôtres actuellement. A l'époque, le contexte était en effet tout différent : dans le monde largement bretonnant du XIXe et du début du XXe siècle, il apparaît vite que la possession du Français, ou même de quelques mots, était un " vernis social " garant d'une ascension plus ou moins prochaine. On peut le regretter, c'était ainsi.
Cette situation à propos des langues ne se présentait pas qu'en Basse - Bretagne. Il en était de même dans les pays de l'Ouest européen possédant des langues et cultures minorées.
Il suffit de se référer à la situation décrite en Irlande par Liam O'Flaherty dans son roman " Skerret " : un instituteur arrivant dans un village des îles d'Aran. Les gens ne parlent que le gaélique, il le comprend ; mais fait mine de le mal parler, ou avec un accent anglais. Il en est de même de l'aubergiste, sorte de notable local, qui émaille son discours en gaélique de mots anglais pour " faire bien ". Dans le répertoire de chansons traditionnelles, on connaît d'ailleurs également, en Irlande et en Ecosse, des chansons chantées en langage mixte, anglais et gaélique.
Le répertoire de chansons présentant un langage hybride est connu par le Colonel Bourgeois, qui parle en effet dans ses " Kanaouennoù Pobl " des chants et des feuilles volantes :

" (…) la 2e catégorie … composée par des clercs ou étudiants … Elles se distinguent par une surcharge de mots français introduits à la place de mots bretons pour faciliter la rime et aussi pour faire parade d'instruction ; ainsi on y trouve souvent des invocations aux dieux du paganisme, tels que Cupidon, Mercure, Apollon, Bacchus, etc. (…) "
" Kanaouennoù Pobl ", Introduction, p. 12.

On voit clairement à quoi il fait allusion en parlant d'Apollon, car en lisant ces mots on ne peut s'empêcher de penser à la chanson " ar seiz skiant naturel " (les sept sciences naturelles), classée dans Ollivier sous le n°331, qui donne au premier couplet les vers suivants :

Apollon, Merkurius, Venus ha Jupiter Apollon, Mercure, Vénus et Jupiter
C'hwi a derc'h war an douar an amitie sincer (…) vous qui tenez sur terre l'amitié sincère…

C'est une chanson longue, de 82 quatrains, signée Gilles Mordellet, de Lanrodec. Elle est adaptée au Kan ha diskan, et bien qu'assez ancienne, datée de 1844 (L . Raoul, p.314) ; elle est encore connue et chantée actuellement.
Le catalogue Ollivier reflète cette bonne réputation, car elle fait l'objet de pas moins de 11 retirages. On trouvera à propos d'Apollon et autres, dans le répertoire Breton / Français, un exemple plus bas.

On est donc tenté, à propos de ces auteurs donnant des textes mixtes Français / Breton, de se poser plusieurs questions, d'abord : pourquoi ? Qu'est ce qui peut amener un compositeur de chansons traditionnelles à aller ainsi jusqu'à mêler ainsi deux langages ?
Les jargons hybrides étaient d'ailleurs connus des locuteurs d'époque qui, imitant peut-être l'ancienne expression de " latin de cuisine ", baptisaient le mauvais français de " galleg poudoù " (français des pots, ou de cuisine ?), et le mauvais breton de " brezhoneg saout " (breton à vaches), ou de " brezhoneg paotr saout " (breton de vacher), ce qui est certes plus péjoratif…
Il y a une chanson de Ifig Moal, intitulée justement " ar galleg saout " (le breton des vaches). Les idées exprimées sur le langage, quoiqu' inverses de ce qui est dit ci-dessus, étaient donc bien " dans l'air ".
Cette chanson, bien que composée du mélange trois quarts de Breton - un quart de Français, donne le refrain moralisateur suivant, avec lequel on ne peut qu'être d'accord :

Gwelloc'h eo komz brezoneg evit fall ar galleg

Mieux vaut parler breton que mal le français

C'est un des paradoxes de ce répertoire que de voir des auteurs reprocher d'utiliser une autre langue, et de le faire eux-mêmes en langage " hybride ". Point de vue discordant ou second degré ? Comprenne qui pourra !

Les gens voulaient donc briller en société en introduisant ces mots " étrangers " dans leur composition. De là à tenter de faire le " tour de force " de composer ou d'introduire dans une forme fixée, leur composition, il n'y avait pas loin.
C'est ce qu'ils ont pratiqué, avec plus ou moins de succès. Les résultats sont là. On s'apercevra d'ailleurs, à lire ces chansons, que les auteurs, ou parfois les collecteurs de ces chansons étaient conscients d'une part de la fragilité, donc de l'importance de ce répertoire, quelle qu'en soit par ailleurs la valeur.
On trouve en effet dans " Canaouen neve gret en enor da beder dimezel yaouank ", (chanson nouvelle faite en l'honneur de quatre jeunes demoiselles), chanson Breton / Français d'auteur inconnu (elle est cotée dans Ollivier sous le n°163), qui pousse la complaisance jusqu'à donner une traduction en regard d'un texte lui-même déjà mixte…
Quoi qu'il en soit, elle comporte une note importante, imprimée en Français, signée " Y. le P. ", c'est à dire Yan le Pennec, qui signale la rareté et la nécessité de collecter les feuilles, etc. ; et le caractère curieux de ce " mélange de breton et de français ". Ceci s'adresse aux feuilles volantes en général mais le propos mérite tout de même d'être cité en exemple :

Le sujet traité ici se limite donc, de lui-même, aux chansons composées organiquement pour être chantées en langage mixte, Breton / Français (ou l'inverse). On met donc à part les cas, non rares, d'envois, de préfaces ou de morales, conclusions ou avertissements en Français, qui sont anecdotiques.
Il n'est pas question des chansons pouvant comporter ici ou là, de façon accidentelle, un mot ou deux, ou même un vers ou plusieurs, dans une langue autre que le Breton : on trouve souvent du Français, parfois du Latin (1 ), rarement de l'Anglais (dans la chanson de A. Conq, cf. supra). D'autres langues doivent apparaître, mais à titre exceptionnel.
Il n'est pas non plus question ici des chansons à titre et / ou sous-titres en Français, suivis de textes entiers soit en Français, soit en Breton, soit les deux ; ce qui est souvent le cas des chansons patriotiques publiées à l'occasion de la Guerre de 14 par le " barde de Guerlesquin ", Charles Rolland.
Il n'est enfin pas question des chansons traduites ou en édition bilingue, ce qui est moins rare qu'il n'y paraît, et n'est en tous cas pas dans notre propos.

On peut ensuite se demander : comment ? Quel est le cheminement de l'auteur de chansons mixtes ? on en arrive à la notion de la structure et du type des chansons.

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- 2 - Classement des chansons Breton / Français (ou l'inverse).

On peut classer les différentes chansons mixtes en trois grands types :
1 - Les chansons à refrain en Français, relativement peu fréquentes,
2 - Les chansons commençant en Breton, continuant en Français, les plus fréquentes,
3 - Les chansons commençant en Français, continuant en Breton, plus rares.

Il y a en effet plusieurs types de chansons, de structure différente. En général, la structure adoptée est la continuation de la même idée, passant d'un idiome à l'autre, comme par exemple dans Al labourer er Porz, qui débute ainsi (l'orthographe est celle de la feuille) :

Je vous supplie Mesdemoiselles
Da lacat intantion, De mettre intention ( )
Je vais vous parler franchement,
Deus a greis va c'halon … Du fond de mon cœur…

Il y a l'inverse, la chanson commençant en Breton et continuant en Français, méthode souvent utilisée par René Le Gac. Enfin un dernier cas, celui de la chanson en Breton, à refrain en Français, c'est le cas d'une curieuse " dispute entre le matelot et le paysan " (An disput etre ar martolod ag al labourer douar), de Mme Le Mansec.

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- 3 - La position des " collecteurs classiques " sur ces chansons.


On part déjà avec un handicap considérable, c'est à dire qu'on part de loin, quand on veut mettre en lumière la position des collecteurs classiques par rapport aux feuilles volantes, et en langage mixte de plus, quand on sait le mépris dans lequel les " classiques " tenaient cette littérature sur feuille volante… Double handicap !
La position des auteurs va du dénigrement (La Villemarqué), à l'ignorance… On passe soigneusement le fait sous silence, meilleure manière de faire l'auto - promotion, soit de son répertoire, soit de son contenu. Depuis Ollivier, cependant, l'essentiel du débat est cadré. Voir surtout la préface (Le Roux) et l'introduction (Ch. Chassé), qui décrivent bien la problématique du langage " corrompu " utilisé dans les feuilles, et les passages oral - écrit, ainsi que les problèmes rencontrés lors des confrontations entre collectes type La Villemarqué ou Luzel, et les collections de feuilles volantes.
1 - La Villemarqué
Du haut de son autorité, La Villemarqué n'aborde pas la question des feuilles et du langage. Il ne l'effleure que par allusion, en parlant de la " littérature des Kloër ", qu'il qualifie de mauvaise, et de la " pureté supposée " du langage présent dans les couches populaires.

2 - Quellien
Dans ses " Chants et danses des Bretons ", quelques considérations sur la " littérature des kloer " sans plus, avec peu de considération. C'est un écho de ce que disent La Villemarqué et Bourgeois, sans plus.
3 - Bourgeois
Dans ses Kanaouennoù Pobl, Introduction, p. 12 ; il parle des chants et des feuilles volantes en général. Avec peu de considération là aussi. Il ne parle pas, bien entendu, des chansons Breton / Français, mais des chansons en " Breton " de l'époque, ce qui évoque directement le " Brezhoneg Beleg ", langage surchargé de mots français à peine bretonnisés pour " faire bien ".
4 - Luzel
L'introduction de Le Braz reflète les débats sur la chanson et la tradition, en particulier ceux relatifs au Barzaz Breiz.
5 - Le Braz

Evoque la littérature des kloër et " l'indélébile empreinte du style prétentieux et gonflé des séminaires ".
6 - Ollivier
Il dit déjà qu'il n'est pas musicien, et il ne prend pas position sur le langage en tant que tel. Il se borne à mentionner, le cas échéant, le langage utilisé. S'il avait fallu aborder en détail les questions linguistiques de chaque feuille, sa tâche, qui fut déjà gigantesque, aurait été sans nul doute cyclopéenne.
Avec beaucoup de bon sens, et sans angélisme primaire, Ollivier a cependant compris la nécessité de dresser cet inventaire d'une culture populaire, fragile et menacée, plus encore par l'inconscience et le mépris, que par sa fragilité intrinsèque : le répertoire sur feuilles volantes. Il a compris, seul et souvent avant d'autres, qu'il importe de sauver ce répertoire en en dressant le catalogue en l'état, tel qu'il est, avec ses défauts et ses qualités.
7 - L. Raoul
Ne parle pas des feuilles volantes en tant que telles et de leur qualité éventuelle. En consultant les notices sur des auteurs connus, comme R. Le Gac et H. Tilly, il cite leurs feuilles, mais n'évoque pas le langage.

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- 4 - Répertoire de chansons mixtes, Français / Breton ou Breton / Français


On arrive à un échantillon de 27 chansons, ce qui n'est pas négligeable. On remarquera tout d'abord que, mis à part les titres " composites " des chansons de René le Gac, les titres sont en général en Breton. Si l'on suit, grosso modo, le Catalogue Ollivier, la liste est la suivante :

 Titre

 Auteur

Catalogue Ollivier 
 Ar bochet partiet après leurs crimes  René le Gac  Non coté
 Kanaouen Ianik Apolataer o voned da Zoudard  Hervé Tilly  Coté n° 162
 Son ar mevier diroll  Hervé Tilly  Coté n° 162
 Canaouen neve gret en enor da beder dimezel yaouank  s.n  Coté 163
 Chanson nevez great gant eul labourer er pors  s.n  Coté 438 Aa
 Chanson nevez great var sujet eul labourer er pors  s.n  Coté 438 B
 Kanaouen an daou bourreaux  René le Gac  Non Coté
 Goech all pe voan pot yaoank  René le Gac  Non Coté
 Eur zon neve d'Adolphe Hitler  Mme Le Mansec, née Flohic, de Pont Melvez  Non Coté
 An disput etre ar martolod ag al labourer douar  Mme Le Mansec, née Flohic, de Pont Melvez  Non Coté
 C'hoant em eus fortunia  de Ifik Moal, dit " Pabor Kastell "  Non Coté
 Chanson Yanik Fripon  Hervé Tilly  Coté n°511
 Eun histor hirvoudus gret var sujet ar brezel (1914)  F. Le Reste, de Tourc'h (29)  Coté n° 602
 Eur zon nevez savet gallec a brezonnec  sn  Coté n°607
 Me zo bet e Pariz  " eur c'hastellad ", Ifig Moal  Coté n° 878
 Trubulliou ar Brezel [1914]  Hervé Tilly  Coté n° 1101
 Ar galleg saout  Ifig Moal (" pabor Kastell ")  Non coté
 Merc'hed ar Miliner  Ch. Mercier  Non coté
 Kanaouen " la vie chère "  René Le Gac  Non coté
 Son meriet Rosporden  François Benoît  Coté n° 1066
 Son ar brezel  F. Le Borgne, de Landeleau  Coté n° 1038
 Al loenet talvoudeg signé " G.L. "  Non coté
 Ar Plac'h Digalon   Ifig Moal (" pabor Kastell ")  Non coté
 Good onions, very scheap (sic !)  Auguste Conq  Non coté
 Rouanez ar merc'hed  Ifig Moal (" pabor Kastell ")  Non coté
 Iez ar breton  signé " A. C. "  Non coté
 Me yello da Bariz  Renan Pérennès  Non coté
     
 

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- 5 - Analyse des chansons

Ar bochet partiet après leurs crimes de René le Gac
Coté 43bis chez Dastum, en fait non coté dans Ollivier. Chanson de 16 couplets, structure : Breton/Français en quatrains de vers alternés de 7/8 pieds
Cette chanson parle des malheurs de l'occupation, du S.T.O., d'Oradour et de la Résistance. Elle est parue sur une feuille avec " Chanson an everien goad " (la chanson des buveurs de sang), toute en Breton celle ci, qui est consacrée, comme à l'habitude pour R. Le Gac, aux difficultés qu'a subi le commerce pendant la guerre, et aux malheurs des jeunes gens partis se faire tuer en Amérique (?) ou en Russie, d'où le titre.
Cette feuille peut être datée de 1948, puisque le texte commence par : " Tri bla zo eo fin dar brezel… " (trois années sont passées depuis la fin de la guerre).

Kanaouen Ianik Apolataer o voned da Zoudard de Hervé Tilly
Coté Ollivier n° 162 chanson de 17 couplets de 8 vers de 7/8 pieds alternés. Ils sont en Breton / Français alternés, à sens continuant.
Sur la même feuille que la suivante, signée " Hervé Tilly ", et sur la suivante avec la précision " de Kergloff ". C'est une Le thème est celui d'une chanson de conscrit très classique, et sans grande prétention.

Son ar mevier diroll de Hervé Tilly
Coté Ollivier n° 162, chanson de 8 couplets de 8 vers de 7/8 pieds alternés. Ils sont en Breton / Français alternés, à sens continuant. Imprimerie " Moullërez ar Bobl, Keraez " (imprimerie du Peuple, Carhaix).
Elle est présente sur la même feuille que la précédente, signée " Hervé Tilly, de Kergloff ". Comme dans la précédente, on doit noter que le procédé du " sens continuant " est laborieux dans ce texte. Les vers en Français semblent rajoutés comme une " cheville ", pour amener la rime.
L'auteur semble à l'aise avec le Français, mais les phrases utilisées sont souvent des phrases chevilles, passe-partout, du genre " écoutez-moi s'il vous plaît ", ou " oui, cela est bien vrai ". Le thème, classique aussi, est celui des malheurs de l'ivrogne.
Ollivier donne des renseignements biographiques sur H.Tilly dans sa partie " Auteurs ", p.350, et signale qu'il faisait partie de la corporation, non rare à l'époque, des personnes qui se faisaient tirer en voiture à chiens, comme Marie - Anne Rolland, épouse Le Chalony, dite " Mari Kastilin ".

Canaouen neve gret en enor da beder dimezel yaouank (sans nom d'auteur)
Coté Ollivier 163, sans date. Dans cette version, c'est la version n°567A du Catalogue Ollivier. Impression J.F. Le Goffic, à Lannion
Une note importante, imprimée en Français, signée Yan le Pennec, signale la rareté et la nécessité de collecter les feuilles, etc ; et le caractère curieux de ce " mélange de breton et de français " (Cf. illustration plus haut). Les versions recensées dans Ollivier montrent que cette chanson, avec une autre chanson courte, " Canvou ar paour mousik bian d'ar Werc'hez ", sont utilisées pour meubler la fin d'une feuille portant un autre texte d'importance. La feuille Dastum porte la date " 1888 ".

Chanson nevez great gant eul labourer er pors (sans nom d'auteur)
Coté Ollivier 438 Aa Chanson Français / Breton, de 36 couplets de 4 vers de 8/7 pieds (Ollivier se trompe en disant " 4 vers de 13 pieds : les vers sont coupés 8 et 7 pieds, ce qui, bout à bout, fait un distique de 15 pieds adapté au Kan ha diskan). Impression Jourand, à Brest.
L'auteur reste inconnu, mais le texte présente des tournures de dialecte léonard, avec " great, va ", etc. Le " sens continuant " du Français au Breton est beaucoup plus fluide, plus naturel que dans les textes de H. Tilly par exemple. L'auteur semble bien plus à l'aise dans son texte.
Cette chanson présente la particularité, d'une part d'être toujours présente dans le répertoire actuel (elle est chantée en Kan ha diskan, dans le Nord du territoire de la Gavotte).
D'autre part, elle se date elle-même en interne : le 29e couplet commence par : " En mil huit cents quatre vingt huit… ". On verra plus bas qu'il y a d'autres éléments de datation, externes ceux-là.
Troisième remarque, elle paraît sur des feuilles avec d'autres textes : la version 438A porte en effet " chanson nouvelle au sujet du retour d'un soldat dans son pays ", chanson en Français, et " chanson nevez gret var sujet ur c'haor ", en Breton.
Une autre version, format in folio (non répertoriée dans Ollivier), porte elle, avec le labourer er porz, " Ar Spilhen " (cf. l'article récent de B. Lasbleiz sur cette chanson), et " Ma Petite Jeannette ", qui est elle en Français ( ), et a aussi la particularité d'être connue et chantée actuellement dans le pays Gallo (région de Saint Martin sur Oust).
On a donc affaire à une chanson, et à un ensemble de chansons, quoique de langages variés et divers, qui sont relativement anciens (1888), et bien présents dans la tradition chantée jusqu'à nos jours. Il faut dire que le texte est beaucoup plus souple, et à l'aise dans le passage entre les deux langues.

Chanson nevez great var sujet eul labourer er pors (sans nom d'auteur)
La même que la précédente, mais version 438 B au Catalogue Ollivier. Cette feuille figure dans la Collection Vinet, elle présente l'intérêt d'avoir été collectée par le Colonel Bourgeois à Brest, le 23 octobre 1893, cinq ans après la date de composition supposée (1888).
Elle est indiquée " slnd " dans Ollivier, ce qui correspond à " sans lieu ni date ". Ollivier rajoute cependant entre crochets l'éditeur Jourand à Brest, ce qui est cohérent avec les conditions de collecte. En plus de la datation interne, dans la chanson, on a donc ici un élément de datation externe intéressant.

Kanaouen an daou bourreaux de René le Gac
Non cotée dans Ollivier ( ), éd. Toullec à Guingamp
Cette chanson commence par le couplet suivant :

La caille la tourterelle et la jolie perdrix
Qui chante pour Hitler et pour Mussolini
Qui chante pour Hitler et pour Mussolini
A renez e gaff dime oa an daou vrassan bandits.

L'orthographe est très défaillante comme souvent sur les feuilles de René Le Gac, je pense que le dernier vers signifie : " ceux-ci je trouve étaient les deux plus grands bandits ". La chanson parle de la 2e guerre mondiale. Outre les deux bandits ci-dessus, elle évoque des personnalités étrangères (Churchill, Staline) et françaises (Pétain, Jean Hérold Paquis, Pierre Laval).
Sur le plan linguistique, elle est un peu difficile à classer. Cette chanson de 16 couplets en comporte 2 en Français (le premier, 3 vers sur 4 ; le dernier entièrement en Français), et de fréquentes phrases en Français par ci, par là.

Goech all pe voan pot yaoank de René le Gac
Non cotée dans Ollivier, sans lieu ni date.
L. Raoul note une date entre parenthèses : 1970 (p.225).
Cette chanson figure sur une feuille avec Zon ar merc'hed faro, du même auteur, elle entièrement en Breton. Elle a 12 couplets numérotés, de 4 vers de 7 pieds, Breton / Français continuant. Dans cette chanson, couplets 9 et 10, R. Le Gac évoque sa vie :
9
(…)
E neur kana tra la la (en chantant " tra la la "…)
Et m'amuser dans la vie

10
A dalc'h mad barz e nosvejou (et tenant le coup dans les soirées…)
O moi je chantais des danses
(…)
Il s'agit d'une " chansonnette " sans grande prétention, dont l'intérêt est cependant de donner ces détails biographiques sur René Le Gac et sa carrière de chanteur.

Eur zon neve d'Adolphe Hitler de Mme Le Mansec, née Flohic, de Pont Melvez
Non cotée Ollivier, c'est une chanson de 41 distiques de 8 pieds. Le timbre est donné, c'est " vive le Rossignol ", ce qui donne à la chanson une structure fixe (tous les couplets sur le modèle du premier) :
Depuis que la guerre est terminée
Vive le rossignolet
He astenet war hon buhe (notre vie s'est allongée)
Rossignol qui vole, qui vole
Le rossignol chantait
Vive la liberté
Mme Le Mansec plaisante sur la fuite de Hitler comme un " lapin sauvage ".

An disput etre ar martolod ag al labourer douar Mme Le Mansec, de Pont Melvez
Cette chanson, non cotée Ollivier, d'un type rare, puisque les couplets sont en Breton, seul le refrain est en Français. Le timbre est, hélas : " ils ont des chapeaux ronds "… Le refrain est d'ailleurs :
Ils ont des bérets blancs, vive la marine
Ils ont des bérets blancs, vive l'océan (Sic…)

Sans s'étendre sur la question de la " dispute ", exercice de style obligé des chanteurs - compositeurs de chansons, on doit signaler un couplet dans cette chanson :

3
Eur labourer da genta gommanças riotal (le laboureur commença en premier le " combat "
Met resevet mad he bet a diguemered fal il fut bien reçu, et mal accueilli)
(…)

Il se trouve que ce couplet est, mot pour mot, un des couplets de la fameuse " Disput entre an tregeriad hag ar c'hernevad " (Dispute entre le Trégorrois et le Cornouaillais). Cette chanson de J. M. Leneindre (non cotée Ollivier), est encore chantée actuellement et fait le bonheur de bien des festoù-noz. (Fonds Dastum, cf. fascicule Bro vFañch, pp. 84 & sqq.).
Cette édition sur feuille volante est datée de 1895, il faut en conclure qu'à l'époque et au lieu où vivait Mme Le Mansec, cette chanson était bien diffusée et connue, et que cette diffusion a continué jusqu'à nos jours.
Quoiqu'on pense de ce type de répertoire ou du timbre utilisé, cette chanson est l'exemple même de l'intérêt que peut présenter tout texte. C'est ce qui sous - tend l'idée que le répertoire a sa valeur propre, que l'on peut examiner, discuter, mais en aucun cas rejeter en bloc. On peut ainsi au décours d'une chanson sans intérêt apparent, relever un détail que l'on peut exploiter, et qui se révélera précieux.
Pour finir de creuser le côté biographique de cette chanteuse peu connue, signalons que les feuilles imprimées disent : " Mme Le Mansec, née Le Flohic Augustine, couturière à Pont-Melvez (Côtes du Nord) ", ce qui est assez précis.
On trouve aussi plus loin une chanson autobiographique, dactylographiée, entièrement en Breton, de Mme Le Mansec ; intitulée tout simplement " Me Bue " (ma vie). Cette chanson de 43 couplets est datée de 1880, date de naissance de Mme Le M…, ce qui lui faisait 65 ans en 1945.

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C'hoant em eus fortunia de Ifik Moal, dit " Pabor Kastell "
Chanson non cotée Ollivier, 12 couplets de 4 vers de 7/6 pieds, Breton / Français continuant. Elle est parue sur une feuille avec " Son ar merc'hed a zoare ", elle en Breton uniquement.
Elle est sous-titrée " gant kaner brudet ar vro Ifik Moal " (avec le chanteur célèbre du pays Ifig Moal). Noter que le bas de la feuille fait une publicité pour " les deux Ifik et leur Jazz " . Cela dit, le prétexte et le sujet de la chanson sont plus que minces.
On note plus bas une autre feuille de Ifik Moal, " Rouanez ar Merc'hed ", sur laquelle figure en photo Ifik Moal et son fils (comme le dit la publicité au bas de la feuille). Il s'agit donc là du " jazz " dont les feuilles de Ifik Moal font sans cesse la publicité. A ce propos, on trouve une description du phénomène d'après-guerre pour la musique instrumentale dans Musique Bretonne, Editions Chasse Marée - Ar Men, iconographie sur le " jâse ", p. 442.

Chanson Yanik Fripon de Hervé Tilly
Chanson cotée Ollivier n°511, 28 couplets de 4 vers de 8/7 pieds, Breton / Français. Imprimerie Nouvelle à Morlaix.
Le suivi des phrases Breton / Français est d'un sens assez faible, parfois même laborieux. Le couplet 12 dévoile le comportement du chanteur à l'égard de sa langue :

12
Pa en em gavent gant ar merhet (quand je me trouvais avec les filles)
Dans les foires et les pardons
Bepred e gomsen ar gallec (toujours je parlais le Français)
Leur déguiser le breton
13
Gallek mad ne ouien ket ive (du bon Français je ne savais pas aussi)
Je me trouvais très gêné
Credit an dra ze so dies (croyez que ceci est difficile)
Quand on ne sait comment parler

L'intérêt de cette feuille est qu'elle porte l'annotation manuscrite suivante : " achetée en 7bre ( ) 1930 sur la place des Halles d'un chanteur vêtu à la mode de Carhaix ", annotation signée " L. Le Guennec " ( ).

Eun histor hirvoudus gret var sujet ar brezel (1914) François Le Reste, de Tourc'h (Finistère)
Chanson cotée Ollivier n° 602, 11 couplets en Breton avec refrains en Français, différents à chaque couplet. Timbre : la Marseillaise.
F. Le Reste est très patriotique. Il publie une autre chanson sur le même thème, Histor ar Brezel, de 50 couplets, en Breton, signée à Tourc'h, le 6 janvier 1916. Le dernier couplet le signale comme né à Rosporden, et exerçant la noble profession de cantonnier. Il n'est connu dans Ollivier que par ces deux textes.

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Eur zon nevez savet gallec a brezonnec sans nom d'auteur
Chanson cotée Ollivier n°607, 21 couplets de 4 vers de 8 pieds, Breton / Français à sens continuant, grand format (in-quarto), slnd ( ).
Le thème est léger, l'orthographe déficiente. Il suffit de signaler que cette chanson suit le " patron " de " chanson Yannik Fripon " (Cf. supra), en une version ici plus courte. Les couplets 12 et 13 rappellent étroitement ceux de l'autre chanson :

12
Pa mein gavent gant ar merch'et (quand je me trouvais avec les filles)
Dans les foires et les pardons
Bepred et gozeal galec (toujours à parler le Français)
Au lieu d'honorer le breton
13
Gallec mad ne ouien quet ir (du bon Français je ne savais pas long)
Je me trouvais très gêné
An draze gredomm zo diez (cette chose là croyons-nous est difficile)
Quand on ne sait pas parler

Ce parallèle est frappant et suffit à affirmer que cette chanson est une simple " version différente " de " Chanson Yannik Fripon ".
Cette feuille est aussi annotée : " Cf. Annales de Bretagne, t. XLVI, n° 1 et 2, 1939. Signalé sous le n°607 ( ). Acheté à Lesneven en decb 1926 ".
L'auteur de la chanson n'est pas indiqué. Soit il s'agit de Hervé Tilly, soit d'un autre qui a entendu cette chanson et l'a faite publier à son compte. En général, les versions reprises d'une chanson précédente sont plus courtes, ce qui est le cas ici. Par contre, cette version a été trouvée avant la précédente, achetée en 1930, ce qui est discordant. Comme on n'a pas de lieu et de date d'impression, que l'auteur est décédé en 1934 à Kergloff (Cf. L. Raoul), cela nous empêche de conclure sur l'antériorité de l'une ou de l'autre.

Me zo bet e Pariz signé " eur c'hastellad ", ( Ifig Moal )
Coté Ollivier n° 878, 10 couplets de 4 vers de 6 pieds, Breton / Français à sens continuant. Les vers en Breton riment entre eux, ainsi que les vers en Français.
Cette chanson sur l'émigration est mélancolique. Le sujet de la chanson est une jeune fille qui quitte son pays et subit toutes sortes d'avanies à Paris. Vers la fin, la chanson est délibérément moralisatrice, et n'évite pas de parler de l'alcoolisme :

2
Eno me oa eurus (là bas j'étais heureuse)
Fallait pas travailler
Evan rean gwin ruz (je buvais du vin rouge)
Jusqu'à me saouler.

Ifig Moal publie aussi " Merc'hed va Bro " (les filles de mon pays), chanson en Breton seulement, sur une autre feuille (Ollivier n° 884), qui a la particularité de porter en médaillon à gauche la photo de l'auteur, à l'âge apparemment d'une quarantaine d'années.

Trubulliou ar Brezel [1914] de Hervé Tilly
Coté Ollivier n° 1101, 34 couplets de 4 vers de 8/7 pieds, Breton / Français à sens continuant. Les vers en Breton riment entre eux, ainsi que les vers en Français. Imprimerie V. Jean à Morlaix.
Le sujet des chansons sur la guerre de 14 est vaste, et il n'est pas question même de l'effleurer ici. De grands chanteurs traditionnels ont publié nombre de chansons, souvent patriotiques, souvent très longues, sur ce sujet. Citons surtout Charles Rolland, le conseiller général de Guerlesquin, qui a publié force textes à ce sujet. Souvent bilingues, c'est à dire traduits, ces textes sont des renseignements précieux sur l'état d'esprit de l'époque. On note d'autres auteurs moins en vue comme Yan Loeiz Rivoal (" ar bermision ", etc.), qui s'est spécialisé dans ce thème. C'est d'ailleurs aussi le cas de François Le Reste (cf. supra).
Cette chanson-ci ne semble pas autobiographique. Elle raconte les malheurs d'une femme de soldat qui se remarie croyant que son mari a été tué à la guerre et, dans la meilleure tradition, son premier mari revient un beau soir…

Ar galleg saout de Ifig Moal (" pabor Kastell ")
Non coté Ollivier, 6 couplets de 6 vers, 4 de 9 pieds, 2 de 5 pieds. Les 4 premiers vers sont en Breton, les deux derniers en Français. Il n'y a pas de timbre, mais un vers comme " va zammig aotrou " fait penser qu'une adaptation d'un air connu comme " ar pilhaouer " pourrait être utilisé. Pas de marque d'imprimeur.
Cette chanson est parue sur une feuille avec " le marin Breton ", chanson patriotique de 7 couplets, du même auteur, en Français. C'est une chansonnette qui plaisante sur le mauvais langage de " Channik " éponyme de la chanson, qui se pique de parler Français. Le couplet sur le mauvais langage a été cité plus haut. Le dernier " diskan " (refrain) qui dit qu'il vaut mieux parler Breton que mal le Français reflète peut-être la pensée profonde de l'auteur.

Merc'hed ar Miliner de Ch. Mercier
Chanson non cotée dans Ollivier. C'est une version dactylographiée, de 12 couplets de 4 vers de 7 pieds, Breton / Français à sens continuant. Les vers en Breton riment entre eux, ainsi que les vers en Français.
Ollivier signale une autre chanson de Ch. Mercier, sous le n°618 : " Fanch ar Potr koant " (François le joli garçon), qui n'a pas été trouvée dans les fonds, également en Breton / Français. Le thème de celle-ci est assez léger : sous le prétexte du meunier " Chamari " (Jean-Marie) qui a neuf filles à marier, on assiste à un décompte des neuf filles toutes affligées de défauts divers.
Un couplet qui parle de marché noir permet de localiser cette chanson aux environs de la fin de la dernière guerre.

Kanaouen " la vie chère " de René Le Gac
Non cotée dans Ollivier, c'est une chanson de 20 quatrains à vers Breton / Français alternés, de 9 / 8 pieds. Les vers en Breton riment entre eux, ainsi que les vers en Français. Il n'y a pas de timbre, mais la mention " war er ton bal danse " (sur un air de ''bal danse''), le morceau du milieu d'une suite tripartite traditionnelle, ce qui rapproche bien René Le Gac au milieu des chanteurs traditionnels évoqué plus haut à propos de " Goech all oan paotr yaoank ".
Cette chanson est publiée sur une feuille qui comporte aussi " kanaouen er bara du " (la chanson du pain noir), intégralement en Breton. Elle peut être datée de 1948 par le 15e couplet qui dit :
15
Kar tri bloa zo eru deuet (car depuis trois ans bientôt)
Depuis la guerre est finie
(…)

Ce texte reflète bien les préoccupations habituelles de Le Gac, et ses préoccupations éternelles sur le commerce, la vie chère (voir le titre), les profiteurs et exploiteurs divers, et les malheurs des cultivateurs et petits commerçants.

Son meriet Rosporden de François Benoît
Cotée dans Ollivier sous le n° 1066, elle a 13 quatrains, en vers Breton / Français, de 7 / 6 pieds.
Cette chanson est inhabituelle pour F. Benoît qui ne publie pas de chansons bilingues en principe. Le thème en est assez léger : comme le titre l'indique, c'est une louange des filles de Rosporden, avec à la fin un avertissement aux jeunes filles de ne pas aller à Paris, thème récurrent dans ce type de chanson, comme on le verra plus bas.

Son ar brezel de François Le Borgne, de Landeleau
Coté dans Ollivier sous le n° 1038, version d'un titre légèrement différent : " son ar brezel anter galec anter brezonec 1914-1915-1916 " (chanson de la guerre moitié français moitié breton, etc.). Ollivier cite fort à propos le couplet 29 de la chanson qui est, à l'orthographe près, identique à celui-ci, et permet de conclure qu'il s'agit très probablement d'une version de cette chanson. Elle a donc 32 quatrains Français / Breton de vers de 7 pieds.
Les vers bretons riment seuls, ce qui fait penser qu'en fait de quatrains, il s'agit de distiques coupés en deux, qui pourraient être chantés en Kan ha Diskan comme " chanson al labourer er porz " (cf. supra).
Cette chanson est un témoignage d'un témoin direct de la guerre, puisqu'il parle de son séjour aux tranchées près d'Arras. Le texte est précis et bien documenté, aisé et facile à lire malgré la difficulté de l' " exercice de style " qu'est la nécessité de changer de langue au milieu du vers.
Chose rare, il cite des noms d'officiers et sous-officiers, l'aspirant Mathiau, le sergent Picard. Il y a des précisions de lieu, des considérations sur les Prussiens, etc. Pour finir, ce qui est parfois observé dans des chansons de conscrits ( ), il cite aussi les noms et villages de ses copains de bataillon : lui d'abord, François le Borgne, de Landeleau, avec cette étonnante confession au couplet 29, qui signifie que, dans son village, il devait avoir mauvaise réputation :
29
(…)
Il a été très souvent
Dindan ar goal deodou (sous les mauvaises langues)

Ensuite est nommé Pierre Glévarec, de Pleyben, et le troisième Corentin Riou, de Telgruc. Pour finir, F. le Borgne, coutumier de l'auto-dérision, se cite lui-même :
32
L'auteur de cette chanson
Zo eun den a spered (est un homme d'esprit)
Elle est faite dans les tranchées
Gant ar Born pen calet (par Le Borgne à la tête dure, ou le têtu)

Une notice sur Le Borgne existe dans L. Raoul, p. 197.

Al loenet talvoudeg signé " G.L. "
Non coté Ollivier, avec sous titre " les bêtes utiles ". 15 couplets de 8 vers de 8/7 vers, Breton - Français à sens continuant, rimant entre eux. L'auteur est inconnu .
Chanson de 15 couplets, vers b/f, sous-titrée en Français " les bêtes utiles ". L'auteur est inconnu. Il met sous ses initiales la mention " lodennec euz a Unvaniez a Ziwallerien al loenet talvoudeg ", participant de l' " union des défenseurs des bêtes utiles ". Il est difficile de dire si cette " union " a existé, ou s'il s'agit d'une plaisanterie, vu la minceur du sujet.
Ceci mis à part, et n'étant nullement un jugement de fond sur la chanson, on doit signaler que, dans les parties en Breton, ce texte est une mine de vocabulaire pour les noms communs d'animaux de tous les jours, des champs et des maisons.
La chanson commence par : " ma mije spered Barzaz Breiz / ou l'esprit d'un Virgile ", (si j'avais l'esprit du Barzaz Breiz…) ; ce qui est à l'évidence une parodie de " ma mije spered Apollon, ou l'esprit d'un Voltaire… " (si j'avais l'esprit d'Apollon…) trouvé au début de Canaouen neve gret en henor da beder dimezelle yaoanc, cf. supra. Il est à noter que cette chanson donne justement ce titre, ma mije spered Apollon, comme timbre. Ceci est dans la ligne, à mon avis, du côté plaisanterie, parodique ; de cette chanson.
C'est aussi une preuve indirecte que l'auteur connaissait ce texte, peut-être s'en était-il même inspiré. Preuve supplémentaire de la circulation de ce répertoire qui irriguait, inspirait les chanteurs successifs, jusqu'à en faire des pastiches.

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Ar Plac'h Digalon de Ifig Moal (" pabor Kastell ")
Non coté Ollivier, avec sous titre " gant Ifik Moal, kaner brudet ar Vro " (par Ifig Moal, chanteur renommé du pays). Cette chanson a 13 couplets de 4 vers de 7/6 vers, Breton - Français à sens continuant, rimant entre eux.
Vu qu'elle parle de femmes tondues pour avoir fréquenté des Allemands, il est compréhensible que cette chanson ne soit pas répertoriée chez Ollivier (qui publiait en 1942). Il existe une courte notice sur l'auteur, " pabor kastell " dans Ollivier, p.335.
Le sujet du texte est donc sur la " collaboration horizontale ". La chanson finit sur un avertissement qui incite les Bretons, avant de se marier, à vérifier si leur fiancée n'a pas eu les cheveux coupés préalablement.

Good onions, very scheap (sic !) signé " P. Tr. "
Non cotée dans Ollivier, cette curieuse chanson a 4 couplets de 8 vers de 6 pieds. Les vers sont surtout en Breton, émaillés de mots ou de quelques vers en Anglais. Il y a un refrain avec un mot en note, probablement interchangeable selon le chanteur ou le public, qui permet de s'adresser aux gens de Roscoff, Santec, Plougoulm, Saint Pol.
La signature par les initiales " P. Tr. " est sans doute relative à " paotr Tréouré ". Paotr Tréouré, alias Auguste Conq, prêtre, de Plouguin (1874-1952), qui était recteur de Saint Pol de Léon.
Sa chanson est sous-titrée " ognon mat, marc'hat mat / kanaouen nevez ar gwerzerien ognon e Bro Zaoz " (bons ognons, pas chers / chanson nouvelle des marchands d'oignons en Angleterre).
Une partition musicale est notée en tête. Le thème de cette chanson peut paraître léger pour une chanson composée par un prêtre. N'allons pas trop loin, il ne va tout de même pas prêcher contre l'Eglise, mais par rapport à la rhétorique parfois un peu compassée des ecclésiastiques, cela a un son inhabituel. C'est une des caractéristiques de A. Conq, si l'on se réfère au reste de son répertoire.

Il est en effet intéressant de signaler que cette chanson est parue sous une version légèrement différente de la feuille volante dans le petit opuscule de " paotr Treoure ", intitulée " Mojennou ha soniou " (fables et chansons), qui était le vade-mecum de ses œuvres (et de quelques autres auteurs), et permet de vérifier le côté non-conformiste de son inspiration. La chanson, dans ce livre, est sous-titrée son ar Johniged e Rosko, la " chanson des Johnnies de Roscoff ". Comme le dit le premier couplet : " Johniget an ognon 'zo deut euz a bell vro… " (Johnny- les-Oignons est venu de loin…), les " Johnies " était le surnom donné outre-Manche à ces immigrants saisonniers qui débarquaient, leurs chapelets d'oignons autour du cou, pour les vendre.

Rouanez ar merc'hed de Ifig Moal (" pabor Kastell ")
Non cotée Ollivier, chanson de 11 quatrains de vers de 7 pieds, Français / Breton rimant entre eux.
Chansonnette légère, au prétexte très mince : les petites compromissions et inconvénients de la vie conjugale... L'intérêt de cette chanson est plus documentaire, et sur le mode de fonctionnement de la tradition, ainsi que son évolution sur une période charnière, probablement localisée à l'entre-deux guerres.
Dater cette chanson est cependant difficile, sans éléments de datation internes ou externes. Elle porte en tête une photo, Ifik Moal et son fils, l'un au banjo, l'autre à l'accordéon. Elle est signée " Ifik Moal, Ti Pabor Kastell, Menez Paul, Lambézellec ". Au pied de la feuille, une publicité pour le père et le fils : " m'o peus c'hoant evit eur friko kaout plijadur a muzik / Grit galv d'ar mab hag ive da Ifik ". (si vous avez envie pour un repas d'avoir du plaisir et de la musique faites appel au fils et aussi à Ifig). Le répertoire d'Ifik, souvent publicitaire, cite souvent son fils, qui s'appelle aussi Ifig (puisque certaines de ses chansons disent, en publicité : " faites appel aux deux Ifig "). Les feuilles de " pabor Kastell " usent et abusent de promotion et de publicité pour eux-mêmes (cf. supra pour le " jazz ").
Elle fait partie de l'abondant répertoire de la famille Moal, avec Francis Moal (1897-1979), frère aîné d'Ifik (1906-1973), cf. Ollivier, p.335 ; qui s'est moins commis dans le répertoire bilingue.

Iez ar breton signé " A. C. "
Non cotée Ollivier, chanson de 4 couplets de 8 vers et 3 quatrains, de 8 / 7 pieds, Breton / Français rimant entre eux pour les octains, les quatrains quant à eux sont entièrement en Breton. Cet auteur qui signe " A.C. " est difficile à déceler.
La chanson est issue de la Bibliothèque Municipale de Rennes, elle figure sur une feuille volante avec deux autres textes, " chanson an ever gouin " (la chanson du buveur de vin) et " kenteliou ar verred " (les leçons du cimetière). La première est répertoriée au Catalogue Ollivier (n°299, qui renvoie au n°7). L'auteur en serait François Le Quéré, mort en 1922. La deuxième chanson est inconnue dans Ollivier. Cette feuille qui porte " iez ar breton " est donc une variante de la feuille volante de " chanson an ever gouin ", et on ne peut aller plus loin, et malgré ces indices on ne peut pas plus identifier qui est cet " A.C. ".
La chanson est sous-titrée " Galek ha Brezonek " (Français et Breton). Là encore, on est confronté au paradoxe de voir une chanson qui a le beau titre " la langue des Bretons ", de figurer avec un texte composite Breton / Français. Le premier couplet finit d'ailleurs en disant :
(…)
Pa zanso Jakez gant Jannet (quand Jacques dansera avec Jeannette)
Chante toujours du breton

On a réellement l'impression, dans ce type de chanson, d'une culture menacée. D'un côté le chanteur glorifie sa langue, d'un autre il le fait dans un texte hybride. Les appels au maintien et à la défense de la langue, à la fin, ont cependant quelque chose d'émouvant.

Me yello da Bariz de Renan Pérennès
Non répertorié dans Ollivier. 6 quatrains de 6 pieds, Breton / Français rimant entre eux, et un " diskan " (refrain). Chanson avec partition harmonisée pour le piano.
On ne finit pas cet échantillon du chant bilingue français / breton par un échantillon particulièrement glorieux… Cette chanson est, hélas, au mieux une " bécassinade " au masculin.
Le barde Renan Pérennès, 1905-1982, (cf. L. Raoul, p. 338) signe son répertoire en tête de la feuille " répertoire Bidass 1er " (sic…). C'est d'ailleurs un de ses surnoms d'après Raoul.
Il s'intitulait " chanteur breton montmartrois ", et pose fièrement en costume breton.
Quelles qu'aient été ses qualités par ailleurs, avec un répertoire dont on imagine combien il a pu faire sourire, souhaitons lui au moins que ce soit sans qu'il s'en soit rendu compte…


Sa chanson est d'une pauvreté affligeante, et n'a certes pas à être citée en exemple ; tout au plus en contre-exemple. Tous les stéréotypes du Breton émigré à Paris sont répertoriés dans ce texte, y compris le retour du fanfaron au pays.

La chanson " C'hoant e doa mont da Bariz " (Ollivier n° 514, p.121), non vue dans cet échantillon, mérite d'être signalée par le fait qu'elle est signée Francis Moal, et que son titre rappelle " me zo bet e Pariz " (cf. supra), signée Ifik Moal, frère du susdit. Il y a sans doute " parallélisme " entre ces deux chansons, voire inspiration mutuelle. Cette chanson est datée de 1931, elle n'est pas signalée comme bilingue dans Ollivier.

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- 6 - Problématique soulevée par ces chansons.


Elle se résume donc finalement de façon assez simple :
1 - Leur période : elle est centrée sur l'entre-deux guerres. Le début est marqué par la guerre de 14, contact de nombreux jeunes hommes avec l'armée, de langue française évidemment ( ). Le maximum est atteint lors de la 2e guerre mondiale, ou juste après, avec la carrière de René le Gac.
Dans les chansons plus récentes, quoiqu'elles soient difficiles à systématiser, car les circuits traditionnels de diffusion s'étaient relâchés, il ne semble pas exister plus de chansons bilingues. Il y a eu au contraire ensuite, et en particulier avec le " revival " et le folk celtique, un retour aux sources qui a entraîné l'élimination de ce genre de chants.
De la même façon que les sonneurs ont éprouvé le besoin, avec le " retour aux sources ", de retrouver les anciens sonneurs avec des instruments et un répertoire qui n'avait pas disparu, les chanteurs ont éprouvé aussi le besoin, sentant confusément combien ce répertoire pouvait être précieux, ont pu également retrouver auprès des chanteurs le répertoire et les vieilles chansons qui, elles aussi, se perpétuaient. A ce moment, cela ne faisait plus " bien " d'émailler son langage de mots français, au contraire.
2 - Le répertoire abordé : se résume à trois types de chants.
Il y a d'abord des chansonnettes légères, à prétexte très mince, sur lesquelles il y a peu à dire.
Un deuxième centre d'intérêt est la question de l'émigration à Paris, qu'elle soit acceptée, ou subie ; ou alors crainte et même vitupérée. La critique de ceux, en particulier les femmes, qui quittent le pays, est souvent violente. Le meilleur exemple de ce type de chanson est, en Breton, " Kaourintina " (Corentine), encore souvent chantée actuellement en Kan ha Diskan, en particulier dans le répertoire " Gavotte ".
Dans les chansons Franco-Bretonnes, il suffit de citer le titre : " me zo bet e Pariz " (j'ai été à Paris), signé Pabor Kastell (Ifig Moal) pour régler le cas de l'émigration. Ces chansons sont souvent une critique en règle des Bretons et Bretonnes qui adoptent des usages étrangers à leur culture, et le plus grand paradoxe est qu'elles sont en langage mixte, Breton / Français !
Il y a enfin les chansons polémiques, dont le meilleur exemple est celui des chansons de 1939-1945 et après : on se moque de Hitler et Mussolini, on daube sur les femmes tondues et la " collaboration horizontale ".
René le Gac, c'est connu, est très sensible en général au commerce et aux profits, d'une part pour ce plaindre de la dureté de la vie (kanaouen " la vie chère "), d'autre part pour vitupérer les profits liés au marché noir (c'est le thème d'une autre de ses chansons, toute en Breton).

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- 7 - Les enseignements généraux de ce répertoire.

1 - La question du répertoire .

Il ne suffit effectivement pas de dire qu'il s'agit de " chansonnettes légères ". Ce propos doit être relativisé. Dire qu'une chanson est " de peu d'importance " est un jugement de valeur. Qui peut juger, qui est qualifié pour le faire ?
On a vu dans le cas des chansons de R. Le Gac comment on peut tirer un renseignement, même d'un couplet, d'une chanson apparemment de peu d'intérêt. Ce qui prouve donc, à contrario, qu'il n'y a pas de " chansons légères ", que toute chanson est importante en elle-même et par elle-même.


2 - L'évolution du milieu traditionnel.
Quoiqu'on pense sur le " répertoire bilingue ", l'exemple des chansons d'Ifik Moal est frappant et parallèle, par rapport du moins aux sonneurs de tradition, si l'on donne l'exemple des photos avec son fils, et la promotion pour le " jazz ". Il s'agit d'une évolution. On constate donc que, dans les milieux traditionnels ; les auteurs, suivant la mode et la demande du public, recherchent un nouveau répertoire et un mode d'expression différent. Que cela soit au détriment de la langue, ou de la qualité du répertoire, on peut le regretter, mais c'est un fait.
Il est d'ailleurs bon de noter que, de même que le " revival celtique " a amené des sonneurs à aller chercher le répertoire auprès d'anciens sonneurs, les chanteurs ont limité ce recours aux chansons à langage mixte, même en ce qui concerne René le Gac ou Ifig Moal, qui publient aussi d'autres chansons entièrement en Breton, et les chanteurs sont rapidement revenus au répertoire entièrement en Breton.
De sorte que l'on peut dire que, mise à part cette période " temporaire ", le fond du répertoire chanté en Basse Bretagne n'a pas été atteint. Il est notable que les titres n'ont pas été atteints par ce caractère " mixte " du langage, les chansons traditionnelles en Breton n'en ont été que peu influencées. D'ailleurs, mis à part " chanson labourer er porz ", ce répertoire n'est plus guère pratiqué.


3 - La présence des chansons traditionnelles dans le répertoire.

Dans le cas d'une chanson de Mme Le Mansec, on a pu montrer les traces d'une autre chanson, la " Disput entre an tregeriad hag ar c'hernevad ", chanson de l'époque (édition 1895) et encore connue actuellement, et la circulation des chansons telles que " Apollon Mercurius ". Ceci est un renseignement précieux sur la présence de chansons, à la fois dans les fonds et dans les mémoires ; et continuant même à circuler jusqu'à nos jours. Une autre chanson porte également quelques " traces " d'une chanson traditionnelle plus ancienne et fort connue, " ar pillaouer ".

Au vu de ces faits, on ne saurait donc condamner en bloc ce type de répertoire. On assiste simplement à un effet de mode, temporaire, les chanteurs voulant faire étalage d'une certaine virtuosité, et de leur capacité à passer d'une langue à l'autre, sans perdre leurs souvenirs et leur pratique de la vieille langue.

Serge NICOLAS

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Bibliographie :

A. Bourgeois : Kanaouennoù Pobl
Kenvreuriez Sonerion Paris, La Baule, 1956

Dastum : fonds de feuilles volantes

Th. H. de la Villemarqué : Barzaz Breiz
Perrin, 1963

F. Luzel : Gwerziou ha soniou (4 v.)
Maisonneuve et Larose, Paris, 1971

J. Ollivier : Catalogue bibliographique de bretonnes sur feuilles volantes
Le Goaziou, Quirnper, 1942

N. Quellien : Chants et danses des bretons
Maisonneuve et Larose, Paris, 1899

L. Raoul : Geriadur ar skrivagnerien ha yezhourien
Al Liamm 1992

Paotr Treoure (Auguste Conq) : Mojennou ha Soniou
Imprimerie Centrale de Bretagne, Rennes, s.d.

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