CHANSONS EN BRETON SUR FEUILLES VOLANTES

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Extraits sonores

Cette rubrique rassemble des textes d'auteurs bretons parlant de chansons en breton sur feuilles volantes ou de chanteurs connus comme compositeurs ou interprètes de feuilles volantes. Ces témoignages sont peu nombreux par rapport à la popularité de cet usage mais ils sont intéressant par le vécu qu'ils décrivent. Les images qui les accompagnent montrent quelques-uns unes des rares représentations actuellement connues.

Une rubrique particulière est consacrée aux Cartes postales anciennes

CHARLES LE GOFFIC : L'âme bretonne, (1924) : enquête sur Yann ar Gwenn. consulter

YVES BERTHOU : En Tregor à travers champs, (1910-1911) : témoignages sur Yann ar Gwenn et Yann ar Minous. consulter

PIERRE-JAKEZ HÉLIAS : Le cheval d'orgueil, Mémoires d'un Breton du pays bigouden (1975) : cantiques et feuilles volantes dans le pays bigouden au début du siècle. consulter

JEAN CHOLEAU : De Roscavel à Landravan, (1946) : plusieurs portraits de chanteurs de chansons sur feuilles volantes dans le pays bigouden, dans les années 1930. consulter

JEAN-MARIE DEGUIGNET : Mémoires d'un Paysan Bas-Breton - Jean-Marie DEGUIGNET (1834-1905), Editions An Here, 1998 : Mention de la vente de la gwerz de Ker-Ys sous forme de feuille volante. consulter

CHARLES CHASSE : introduction rédigée pour le Catalogue Bibliographique de Joseph Ollivier (1942) : ensemble de portraits de chanteurs ou chanteuses présents dans l'oeuvre d'auteurs tels que : Brizeux, Tristan Corbière, Léon Le Berre, Auguste Dupouy, Cambry, Perrin...consulter

 

Carte postale du début du XXème siècle montrant la vente de chansons sur feuilles volantes au Pardon de Ste Anne La Palud. les feuilles sont présentées par terre et retenues par des pierres. Le chanteur officie grimpé sur une boîte. A l'arrière plan, on aperçoit les tentes des marchands forains.

 

 

 

 

 

 

 

Charles Le Goffic, L'AME BRETONNE,

Quatrième série, Ed. CHAMPION, Paris, 1924

SUR LA PISTE DE Yann ar Gwenn (pages 103 à 128)

Dans ce récit, Charles le Goffic propose de le suivre dans une enquête sur Yann ar Gwenn, le plus connu des chanteurs-compositeurs de chansons en breton sur feuilles volantes. Cette enquête débute par l'état civil :

(...) Yann ar Gwenn ou, comme on le désigne plus familièrement, Dall-ar-Gwenn (l'aveugle Le Gwenn), est vivant ici dans toutes les mémoires. Elles s'ouvrent spontanément dès qu'on a prononcé son nom et, sans qu'on les prie, laissent échapper un flot de souvenirs. La popularité de l'aveugle n'à pas souffert du temps. Elle se serait plutôt accrue en route. Et cependant Yann est mort il y a près de trois quarts de siècle, - vers 1860, disais-je dans la première série de L'Ame Bretonne. Je me trompais de onze ans. Un fin limier, M. Adam, Secrétaire de la mairie de Plouguiel, s'est mis en chasse à ma prière et a fini par découvrir l'acte de décès du barde, ainsi libellé

Extrait des registres de l'état civil de la commune de Plouguiel.
- Du trentième jour du mois de décembre mil huit cent quarante-neuf, à une heure du soir, acte de décès de Jean Le Guen, né à Plougrescant, département des Côtes-du-Nord, âgé de 77 ans, profession de Poète Bretonne (sic), domicilié à Plouguiel, décédé le-2, à 7 heures du matin. , fils légitimé (sic) du défunt Pierre et de la Marie (sic) Arzur et époux de Marguerite Petibon. - La déclaration du décès susmentionné a été faite par François Le Tallec, demeurant à Plouguiel, âgé de 58 ans, profession de journalier qui a dit être beau-fils du défunt, et par Jean Le Déon, demeurant à Plouguiel, âgé de 67 ans, profession de tailleur, qui a dit être voisin du défunt Lecture donnée de ce que dessus, les comparants et témoins ont déclaré ne savoir signer. Constaté suivant la loi, par moi, Charles Adam, maire, officier de l'état civil, soussignant. - Signé : ADAM.

Nous voilà donc fixés avec précision sur l'année, le jour et l'heure de la mort du roi des bardes. Du même coup nous apprenons quel était l'âge supposé du défunt et dans quelle commune il était né. Cela nous permettra, le moment venu, de retrouver son acte de naissance. Aussi bien la date exacte de cette naissance nous sera fournie à Plouguiel même, par un autre acte de l'état civil, celui du mariage de Yann, qu'on lira plus loin. Et cet acte nous servira également à redresser les erreurs de l'acte de décès. Je ne dis rien de l'orthographe fantaisiste de cet acte, dont l'auteur était évidemment plus familiarisé avec la langue bretonne qu'avec la française. Chose plus grave, Yann ar Gwenn y est appelé Jean tout court et, d'autre part, on le donne pour fils " légitimé " de Marie Arzur. Du moins est-ce ainsi que mon correspondant a cru devoir transcrire le nom de la mère du barde. Mais, vérification faite (et je l'ai faite moi-même), le registre de l'état civil porterait plutôt Areizun qu'Arzur. Il n'y a guère d'Areizun chez nous. Le scribe qui recevait la déclaration de François Le Tallec et Jean Le Déon a dû mal entendre et s'en tirer par un vague gribouillage. La mère du barde ne s'appelait en effet ni Areizun, ni Arzur, mais Henry. Légitimé, à son tour, est-il une graphie défectueuse pour " légitime ? Je le pense, car dans le second acte dont j'ai pris copie et qui est antérieur au précédent, Yann ar Gwenn n'est nullement présenté comme un enfant naturel, que ses parents auraient ensuite reconnu. Enfin cet acte lui restitue son second prénom : Marie. Mais le scribe - sous quelle inspiration ? - avait d'abord écrit François, qu'il a biffé d'un gros trait. Le brave Yann, toute sa vie, paraît avoir été en délicatesse avec l'état civil. Quant au titre ronflant de " poète bretonne ", que lui décerne son acte de décès, il est remplacé ici par l'appellation plus modeste de " chanteur de chansons ". Ce que l'acte ne dit pas, c'est que ces chansons étaient les siennes.

Mairie de Plouguiel. Arrondissement de Lannion. Du 23eme jour du mois de juin, au 1810. - Acte de mariage de Jean-François-Marie Le Guen, âgé de 32 ans, né en la commune de Plougrescant, le 24 décembre 1774, profession de chanteur de chansons, demeurant à Plouguiel, département des Côtes-du-Nord, fils majeur de Pierre Le Guen, âgé de 65 ans, et de Marie Henry, son épouse, âgés de 64 ans, journaliers, demeurant à Plouguiel et Marguerite Petibon, âgée de 26 ans, née en la commune de Plouguiel, département de.,, Côtes-du-Nord, le ler juillet 1779, profession de filandière, demeurant à Plouguiel, département des Côtes-du-Nord, fille majeure de feu d'Anthoine (sic) Petibon et de Louise Le Dù, âgé (sic) de 62 ans, mendiante, demeurant au dit Plouguiel. Le mariage a été contracté par devant Adam, maire, en présence des quatre témoins exigés par la loi, savoir. Yves Le Cuer, cultivateur Jean Rollant, cultivateur Jean Le Maillot, journalier Guillaume Péron, tailleur, tous de Plouguiel et amis des contractants.

Où il est question de Marguerite Petibon, épouse de Yann ar Gwenn mais aussi inséparable compagne de route du chanteur aveugle...

Marguerite Petibon survécut à son mari. Elle l'accompagnait dans ses tournées estivales et le barde n'eut pas d'autre compagne jusqu'à sa mort. Cependant Olivier Souvestre parle d'une certaine Fantik qui lui servait de commère. Faut-il donc suspecter la véracité de l'auteur de Mikaël ?
Cela n'est pas nécessaire. En 1792, au moment où se passe la scène rapportée par Souvestre (1), Yann avait vingt ans. Il n'était pas encore marié. Mais, s'il avait déjà embrassé la profession de chanteur ambulant, il fallait bien, étant aveugle " depuis l'âge de sept mois ", comme lui-même le déclare à la fin d'une de, ses complaintes, que quelqu'un le convoyât par les chemins. Cette Fantik, en somme, pouvait fort bien être une de ses sœurs cadettes, si tant est que Yann. eût des sœurs, ce que j'ignore pour le moment.

De toutes façons, à partir de 1810, apocryphe ou réelle, Fantik disparut de la vie de Yann ar Gwenn et sa place fut prise par Marc'harit (Marguerite) Petibon (2). Les différents témoignages que j'ai recueillis sur cette Marc'harit à Plouguiel et ailleurs la représentent comme une accorte commère, qui n'avait pas froid aux yeux, comme on dit, dont l'humeur n'était 'pas toujours des plus commodes et qui en aurait peut-être fait voir de vertes à son mari, si celui-ci, en sa qualité de barde, n'avait disposé de certains secrets pour mâter les femmes acariâtres. Il en avait d'autres, sans doute, pour les maintenir dans le droit chemin, mais qui se perdirent avec lui, car Marguerite Petibon, restée veuve, ne put longtemps se plier au célibat. Elle se défiait encore de sa vertu à 70 ans ! Pour lui éviter de trop rudes assauts, elle écoula les propositions d'un certain Gratiet, qui avait le même âge qu'elle, et convola avec lui en justes noces

- J'aime mieux me remarier, disait-elle, que de risquer un accident.
Et elle disait à d'autres
- Le bon beurre se fait dans les vieux ribots.
Marc'harit, comme Sancho, avait un proverbe pour toutes les circonstances.

Notes de bas de pages
(1)
V. L'Ame bretonne, 1- série, P. 9.
(2) " Pas du tout, me riposta spirituellement Léon Durocher. Yann ar Gwenn était bigame. Il le faut sans quoi je te défie d'accorder Fantik avec Marguerite Petitbon. Tu crois tout concilier en faisant de Fantik " une sœur cadette " de Yann ar Gwenn, qu'elle aurait conduit à Quimper en juillet 1792. Fantik proteste, la Fantik d'Olivier Souvestre, la Fantik de Mikael, kloarek breton. A Quimper, Yann ar Gwenn (18 ans alors, et non 20) se faisait conduire par un enfant. Tu m'observeras qu'un enfant peut être une sœur cadette. Soit! Mais au pardon de Rumengol, où Mikael rencontre le barde aveugle, c'est bien sa femme qui l'accompagne : " Fantik, dit-il à sa femme, en jetant sur l'épaule son sac à peau... " Je cite Olivier Souvestre. Eh bien ? marmonnes-tu, il convient de considérer ce pardon comme antérieur à 1810, Car, l'acte de mariage du barde le prouve. "à partir de 1910, Fantik disparut de la vie de Yann ar Gwenn, et sa place fut prise par Marc'harit Petitbon. " Turlututu ! Au début de Mikael, le kloarek rêve près d'un étang voisin de Morlaix, par un beau soir de juillet 1858. Quatre jours après il part pour Landévennec, d'où il se rend au pardon de Rumengol. Nous sommes donc en 1858. Tu as bien lu : 1858. Relis maintenant l'acte de décès de Yann ar Gwenn, que tu as publié dans le Breton de Paris : " Du .90e jour de décembre 1849... " Mikael (ou Olivier Souvestre) interroge à Rumengol en 1858 Yann ar Gwenn mort à Plouguiel en 1849 ! " Moi, ça ne me gêne pas : je sais que les morts ont l'habitude de se promener en Bretagne. La nuit, murmures-tu : mais au grand soleil ! ... Arrange-toi. Si tu doutes de la présence de Yann ar Gwenn au pardon de Rumengol en 1858, je te réplique en doutant de sa présence à Quimper on 1792... ! "
Mon correspondant avait raison, et la vérité semble bien être en effet qu'Olivier Souvestre a inventé de toutes pièces le personnage de Fantik - comme il a imaginé sa rencontre avec le vieux barde en 1858. - Ainsi les émigrés cambriens et les grognards du premier Empire ne pouvaient croire qu'Arthur et Napoléon fussent morts. Les catégories de temps et d'espace n'emprisonnent que le commun des hommes -. un Yann ar Gwenn, comme Arthur et Napoléon, car échappe nécessairement.

Nous savons déjà que Yann, contrairement à l'opinion courante, n'est pas né à Plouguiel, mais dans une commune voisine : Plougrescant. A son tour, le secrétaire de la mairie de cette commune, M. Leizour, a bien voulu compulser pour moi les anciens registres paroissiaux Il y a trouvé, après d'assez longues recherches, l'acte de baptême que je transcris plus loin. En m'en adressant copie, M. Leizour me faisait remarquer que l'acte de décès du barde si erroné déjà - se trompe également- sur l'âge du défunt, qu'il 1 dit être de soixante-dix sept ans : Yann avait seulement, quand il mourut, soixante-quinze ans et sept jours.

Extrait des registres paroissiaux de Plougrescant. - Jean Marie Le Guen, fils légitime de Pierre Le Guen et de Marie Henry, né le 24 décembre mil sept cent soixante quatorze, a été baptisé le même jour par le soussignant recteur, Parein et Mareine (sic) ont, été Jean Le Pruennec et François Perrien, qui, avec le père présent, ont déclaré ne savoir signer. J.-M. Le Ny, Recteur de Plougrescant.

Le 24 décembre, vigile de Noël ! Ce jour-là, s'ils avaient reçu le don de prophétie, les petits chercheurs de la part à Dieu qui s'en allaient de porte en porte, sur les routes de Bretagne, pour " annoncer la bonne nouvelle ", auraient pu annoncer aussi que, pareil à son divin Maître et guère plus riche que lui, dans une humble chaumière du Trégor, le roi des bardes

 Œuvre de Yann ar Gwenn, cette "Gwerz composée nouvellement sur un évènement arrivé à un saint vicaire de l'évêché de Milan" montre que le compositeur allait parfois loin de la Bretagne chercher ses sujets. Il indique que son récit vient d'un texte en français "composet a neve divar eur c'hopi gallec ebars en brezonec". L'histoire raconte qu'un vicaire resté seul auprès d'un mourant accueille un pauvre voyageur, homme âgé avec une grande barbe blanche. Le voyageur se plaint de la triste situation du monde avant de disparaître mystérieusement en promettant le paradis à son hôte qui l'a si bien accueilli. Le vicaire, frappé par la grâce, reconnaît en son visiteur Dieu le Père en personne...Cette édifiante chanson, chantée sur l'air du cantique de Ste Anne de la Palud, a été imprimée chez Alexandre Lédan, à Morlaix. Yann ar Guen s'identifie à la fin du texte sous la manière suivante :

An hini neus recitet ebarz en brezonec/Tout an explication a zo gret en gallec

A zo a baros Plouguiel, Yan ar guen e hano/Hac e bried ouz e ren eiz bla ha tregont zo

Description de la maison de Yann ar Gwenn à Crec'h-Suliet

A quel moment vint-il se fixer sur les rives du Jaudy, au pied de cette éminence rocheuse qui porte en breton le nom de Crec'h-Suliet ?. On ne le sait trop. Suliet dérive du verbe sula (rôtir, flamber), et c'est une épithète tout à fait appropriée à cette face orientale des berges de la rivière de Tréguier, qui reçoit et semble absorber dans son sol calciné, presque rouge, les ardeurs d'un soleil qu'on qualifierait volontiers aujourd'hui de tropical : Crec'h-Suliet équivaut en somme à notre français Côte-Rôtie (1). C'est, présentement, un hameau de cinq ou six feux, échelonnés sur le flanc gauche d'un petit chemin raboteux qui conduit obliquement de Kerotré au Jaudy. La grève, à cet endroit, dessine une courbe légère, favorable à l'accostage des bateaux qui vont draguer le sable ou charger le goémon d'épave au bas de la rivière. Ces maisons de Crec'h Suliet ne manquent pas, d'ailleurs, d'une certaine élégance rustique. Toutes sont couvertes en ardoises et bordées au levant de minuscules jardinets en terrasses, avec des muretins à hauteur d'appui. Mais on chercherait vainement parmi elles la maison de Yann ar Gwenn, cette maison fameuse, aveugle comme son maître, et que Brizeux a décrite sans l'avoir vue, d'après un croquis publié par le Magasin Pittoresque de 1842. On aurait même quelque peine à repérer son emplacement, n'était un pan de mur qui s'en est conservé par miracle et un prunier appelé encore aujourd'hui le " prunier de Yann ar Gwenn "qui se trouvait au bout du clos. Grâce à ce pan de mur et à ce prunier et en s'aidant du croquis publié par le Magasin Pittoresque, on peut aisément reconstituer en esprit la demeure du barde, qui n'avait pas de fenêtre, en effet, dont l'unique ouverture, servant de porte, était tournée vers -la grève et à deux ou trois mètres seulement d'une berge très déclive que le flot vient battre deux fois par jour. Elle était coiffée de chaume et on la flatte peut-être en l'appelant une maison.
- C'était plutôt une kraou, une crèche, ce qui explique tout, me dit mon guide, M. Adam. Sans doute, me confirmait plus tard le petit-fils de Yann ar Gwenn. Mais, ajoutait-il, avec une nuance d'orgueil, la kraou appartenait à mon grand-père, ainsi que le touzil (la motte de terre) Sur laquelle il l'avait bâtie.
En réalité, je crois que ce "touzil " faisait partie d'une friche communale, d'une de ces terres vagues et vaines, res nullius, dédaignées des riverains et qu'on abandonne au premier occupant. Tant de chaumes, de huttes en Bretagne, qui figurent aujourd'hui au cadastre, à la faveur de la prescription trentenaire, ont été bâtis de la sorte sur des bordures de route ou sur des garennes 'abandonnées Yann ar Gwenn ne s'en montrait pas moins très fier d'avoir une maison à lui, bâtie de ses deniers, si le terrain ne lui avait coûté que la peine de le prendre (...)

(...)Sa maison était bien exiguë sans doute, et si basse, nous dit-on, qu'on n'y pouvait entrer qu'en pliant l'échine. Au retour de ses longues randonnées estivales, Yann y prenait ses quartiers d'hiver. Mais cette alouette des sillons ne se sentait vraiment à l'aise qu'en plein air. Tous les contemporains sont d'accord là-dessus : dès que le ciel se déridait, Yann sortait sur sa porte. Il se " cluchait " le dos au mur et restait là des heures et des heures, remuant ses lèvres et agitant son buste d'un mouvement isochrone, de haut en bas et de bas en haut, qui était le rythme machinal dont s'accompagnait chez lui le travail de la composition. Si la pluie ou le froid le "On si tenait au logis, on l'y trouvait le plus habituellement assis sur son chipot. Vous savez que ces chipots trégorrois sont de grandes boîtes à sel de forme ronde qui, munies d'un dossier et placées dans le coin de l'âtre, peuvent, en effet, servir de siège. De là, par dérision, le surnom de chipots donné aux chaires à prêcher. On dit : " Pourvu que M. le Recteur ne reste pas trop longtemps dans son chipot ! " (Entendez : Pourvu que son prône ne soit pas trop long !).

Description des techniques mnémotechniques qu'utilisait Yann ar Gwenn pour retenir les chansons qu'il composait

Et voici encore un détail qu'on retrouve chez tous les contemporains : Yann, quand il composait ses chansons, avait à portée de la main une baguette de saule se, défiant de sa mémoire et ne sachant ni lire, ni écrire, ni compter, il faisait une coche dans la baguette, après chaque couplet. Le châtelain actuel du Castellic, M. Tallibart fils, croit se souvenir qu'il y traçait, à la pointe du couteau, d'autres signes mnémotechniques, " de manière sans doute à reconnaître au premier attouchement la chanson à laquelle se rapportait la baguette ". Yann liait ensuite ces baguettes en faisceaux qui constituaient sa bibliothèque ".
Cependant Yves Le Coz, cultivateur à Kerotré, qui le fréquenta aussi dans son enfance à Crec'h-Suliet, sans contester les baguettes, ne pense pas que Yann en fit usage chez lui. .
- Dehors, bon ! me dit-il. Mais quand il travaillait à domicile, ce qui était rare, du reste, l'aveugle procédait autrement. Je l'ai vu opérer et je sais comme les choses se passaient : à chaque couplet composé, il plantait dans le mur un ibil (goupille de bois pointu.), comme font les joueurs de boule pour marquer leurs points.
C'est un des hommes les plus précieux à consulter sur Yann ar Gwenn que cet Yves Le Coz. Il est âgé de 78 ans. Il avait donc seize ans, à la mort du barde et il eut tout le loisir de le connaître, Kerotré, où il habitait et où il habite encore, n'étant qu'une portée de fusil de Crec'h-Suliet. (...)
(...) Vous avez connu Yann ar Gwenn ? - Si je l'ai connu ! . Mieux que mes père et mère, peut-être, monsieur, soit dit sans offenser leur mémoire. Quand je n'étais qu'un enfant, le vieux Le Gwenn m'honorait déjà de son amitié. Ces choses-là ne s'oublient pas. Je lui rendais de menus services, sans doute. Dans les débuts, Yann, qui ne savait ni lire -ni écrire, se rendait à Lannion ou à Morlaix avec ses baguettes et y dictait ses chansons aux imprimeurs. Mais plus tard, quand la réputation lui vint avec la fortune, il prit un secrétaire...
- Un secrétaire ? .
- Oui, monsieur... François Le Ruzic de Kerlouc'h, le plus savant homme à la ronde, après M. le curé, c'était toujours Yann qui composait les chansons, mais c'était Le Ruzic qui tenait la plume.
- Et Le Ruzic gagnait gros à ce métier ?
Deux sols par chanson. Mais Yann, désormais, pouvait dormir sur les deux oreilles. Environ la mi-juin, quand le blé commence à épier et les pèlerins à bourdonner autour des places dévotes avant de boucler son sac et de se mettre en route pour Saint Jean-du-Doigt ou Saint-Hervé-du-Ménébré, il repassait mentalement son répertoire à l'aide de ses bâtons. Avait-il oublié un couplet ? Si son secrétaire n'était pas là, il me faisait appeler J'avais passé deux ans, et demi à l'école et je savais lire : je n'avais pas de peine à retrouver sur la copie de Le Rouzic ou sur l'imprimé le couplet qui manquait à la chanson.

Yann ar Gwenn, portrait de l'homme ...et du sorcier.

Et comment était-il, au physique, ce Yann ar Gwenn ?
Petit et gros, monsieur, - à peu près comme vous, tenez Oui, Oui, C'est tout à fait cela, sauf la figure qui ne ressemblait à aucune autre figure au monde et qu'on n'oubliait pas, une fois qu'on l'avait vue. Cette figure-là, monsieur, on aurait dit qu'elle riait par tous ses pores, par toutes ses rides. Les, yeux eux-mêmes ne semblaient clos que pour mieux rire. Ah ! Yann ar Gwenn n'engendrait pas la mélancolie, je vous assure 1 Quand il passait sur la route, filles et garçons accouraient sur les portes Et l'aveugle jetait une facétie à l'un, décochait un quolibet à l'autre. Je le vois encore, montant la Côte de Crec'h-Suliet et frappant le roc de son bâton ferré, un bâton de houx durci au feu. On n'aurait pas dit, un aveugle, tant il filait droit et sans hésitation, au moins dans les chemins de par ici, qui lui étaient familiers. Il mettait son honneur à s'y diriger seul. Il ne voulait pas de convoyeur. Ce n'est que passé Plouguiel qu'il consentait à prendre le bras de Marc'harit.. Encore se privait-il quelquefois de sa compagnie comme il arriva certain jour que la commère ne voulait pas le suivre à Lannion, chez son imprimeur, et où il lui fit accomplir le double de la traite pour lui donner une leçon.
- Contez-moi cela, Yves Le Coz.

- Eh bien ! Voilà, monsieur. Mais il faut vous dire d'abord que Yann ar Gwenn, comme tous les bardes nomades, était un peu sorcier. Il avait des secrets pour faire marcher les gens Donc, un jour quel Yann avait affaire à Lannion, il héla sa commère qui était en train de laver au douet voisin. Pour être- franc, je crois qu'elle travaillait beaucoup plus de la langue que du battoir. Tant y a qu'elle envoya promener notre Yann, qui se contenta de lui répondre Bien ! Bien ! Continue, God, ne te presse pas, ma chérie... Tu as de bonnes jambes et tu seras rendue avant moi à Lannion. De fait, pas plutôt à la Croix-Rouge, qui n'est qu'à, une pipée d'ici, il voit -arriver Marc'harit, tout essoufflée. Eh ! là, God, lui crie-t-il, où cours-tu ? Nous avons- le temps, ma chérie, rien ne presse. : Enfin, si c'est ta fantaisie de faire deux fois la route, ne te gêne pas, tu me trouveras, au retour, dans ce fossé, où je vais ruminer une chanson en t'attendant. Marc'harit, comme une somnambule, poursuit son chemin : elle ne marche pas, elle galope. La voilà rendue à Lannion. Elle s'enquiert de son mari à l'auberge où il a coutume de descendre. On lui répond qu'on ne l'a pas vu. Inquiète, elle retourne sur ses pas, traverse en trombe Trézeny, Coatréven, Camlez, Kerménou et ne retrouve son mari qu'à la Croix-Rouge, autant dire à l'endroit même d'où elle était partie. Eh bien God, lui demande alors Yann ar Gwenn, es-tu contente de ta promenade ? Tu ne voulais pas m'accompagner, pour mes affaires, à Lannion, ce matin ? Et voilà que tu y, es allée et que tu en es revenue tout, seule, pour rien, dans la même journée. On a bien raison de dire que l'humeur des femmes est changeante !

 

   

"Recit nouvellement composé sur un fait de vaillance arrivé près de Paris, le 3 mai 1839", composé par Yann ar Guen d'après un fait divers, est encore chanté par les Frères Morvan sous le nom de "Ar wreg yaouank maguerez" (la jeune nourrice). L'histoire raconte comment une nourrice voyageant à pied avec l'enfant qui vient de lui être confié est attaquée par un voleur déguisé en prêtre. Par un miracle ,l'enfant se saisit du sabre et tue le voleur.

Yann ar Guen signe la fin de la chanson par le couplet suivant :

An hini en deus invantet distreï ar ganouen -

A chom en parros Pleuyel; e hano Yan AR GUEN.          

 

 

 

Le brave Yves Le Coz m'en aurait conté bien d'autres sur Yann ar Gwenn, si je n'avais été obligé d'abréger ma visite -à Kerotré. Il me fallait voir encore cinq ou six contemporains du barde prévenus par M. Adam, et qui m'attendaient chez eux. Mais comme ils ne firent, presque tous, que répéter ce que m'avait dit Le Coz, je ferai grâce au lecteur de cette partie de mon enquête.

Chez Mme Cony, cependant, qui, bien qu'éprouvée par un deuil récent, voulut bien nous recevoir avec cette aménité pleine de noblesse qu'on trouve encore chez quelques-uns de nos cultivateurs, je recueillis une anecdote assez curieuse et qui vient à l'appui des dires de mon premier interlocuteur sur la puissance cabalistique attribuée au vieux barde ambulant.

Certain jour qu'on faisait des crêpes à Kerotré, Yann ar Gwenn vint à passer et entra dans la cuisine, alléché par la fine odeur de la pâte. Il n'y avait là, par hasard, que la servante, et, soit qu'elle fût de méchante humeur, soit qu'elle ne connut -pas l'aveugle, elle négligea de lui offrir sa part du festin, comme c'est l'habitude. Yann était trop fier pour réclamer. Il ne dit rien et reprit son bâton. Il était déjà loin sur la route de Morlaix, quand il entendit la servante qui courait après lui en criant de toutes ses forces : Komerit ke n'eil ? Komerit ke n'eil ? , Ne la prendras-tu pas ? Ne la prendras-tu pas ? " En même temps elle lui tendait une crêpe au bout de son éclisse. Mais elle pouvait s'égosiller : Yann, ce jour-là, était aussi sourd qu'aveugle. Il continuait paisiblement son petit train, talonné par la femme, qui continuait de lui tendre la crêpe au bout de l'éclisse et de lui crier : Komerit ke n'eil ? Et il la mena ainsi jusqu'à Morlaix, où il consentit enfin à prendre la crêpe. Sur quoi, le charme cessa et la servante inhospitalière put retourner à Kerotré.

Vous ai-je dit que Yann,, de son mariage avec la Petibon, avait eu deux. filles : Jeanne, qui épousa un tailleur nommé Jacot Raison, et Annan, qui épousa un journalier nommé Le Tallec. (...)
(...) Le Tallec convient d'ailleurs que l'infirmité, de son grand-père ne l'empêchait pas d'être le plus gai des hommes : privé de la vue dès l'âge de sept mois Yann ne pouvait mesurer l'étendue de la perte qu'il, avait faite. Ses autres sens, et notamment le sens de la direction, s'étaient prodigieusement affinés et lui permettaient de se débrouiller dans l'inextricable lacis des petits chemins trégorrois'. C'est ce que m'avait déjà dit Yves Le Coz. Mais croirait-on que Yann-, tout aveugle qu'il était, poussât la témérité jusqu'à grimper dans les arbres du Castelic pour y couper- sa provision de bois mort ? Et lui-même, d'après M. Tallibart, faisait ses bourrées et les portait à Crec'h-Suliet sur son dos

De la popularité de Yann ar Gwenn

C'était un proverbe en ce temps-là qu'il n'y avait point de bon pardon sans Yann ar Gwenn. La vénérable mère de Gustave Geffroy, qui était de Plougonven, me le confirmait peu de temps avant sa mort. Malgré son grand âge, elle se rappelait très bien l'aveugle, sa commère et son chien.
L'arrivée de Yann dans une fête ou un pardon mettait toutes les têtes à l'envers, me disait-elle. On quittait tout pour l'entendre. Jamais barde populaire n'exerça un tel prestige sur les foules. Il y avait je ne sais quoi de religieux dans l'attitude de son auditoire. A certains passages de ses chansons, les paysans ôtaient gravement leur chapeau. Tous l'honoraient comme un homme marqué du signe divin...Et Mme Geffroy me cita ces tierces-rimes d'une complainte de Yann qui, après soixante-dix ans, chantaient toujours dans sa mémoire :

Gwechall ar merc'het yaouank
Na evet ket ar gwin-ardent
Hag ha chomet pel fur ha koant...

Jadis les jeunes filles ne buvaient pas d'eau-de-vie et demeuraient longtemps sages et belles... "
Si nous ne possédions de Yann que ce couplet, on pourrait en conclure qu'il fut un poète gnomique, une manière de Solon ou de Phocylide, armoricain, Et l'on se tromperait beaucoup. Sans doute, il ne dédaignait pas, à l'occasion, de faire un petit bout de morale aux gens. Mais sa jovialité naturelle reprenait vite le dessus et il était surtout à l'aise dans la facétie.

Les compositions de Yann ar Gwenn.

Encore fallait-il qu'il se pliât aux exigences de l'actualité. Les bardes nomades ont été les premiers journalistes de la Bretagne. C'est par eux que la péninsule, ensevelie le reste du temps au fond de ses landes, entrait, les jours de foire ou de pardon, en communication avec le monde des vivants : catastrophes maritimes, tremblements de terre, batailles rangées, mariages princiers, changements de régime, de tout cela et du reste, assassinats, épidémies, etc. , les bardes chargeaient leurs complaintes. Yann était bien obligé de se soumettre à la loi commune. C'était, comme ses confrères, essentiellement un "actualiste". Tout événement lui était bon, petit ou grand, et il travaillait même, au besoin, sur commande.
Que d'épithalames il composa ainsi, qui lui étaient payés d'un gros écu de six livres et d'une place d'honneur à la table des mariés ! Une vieille femme d'Yzen-Laouen, Françoise Le Quer, m'a chanté celui qu'il " rima " en l'honneur de sa propre fille et de son gendre Jacot Raison. Le dit Jacques ou Jacot, par désespoir d'avoir vu sa belle causer trop tendrement, dans un pardon, avec un rival, n'avait-il pas fait la sottise de s'engager comme remplaçant - littéralement d'aller " vendre sa peau " (gwerza é groc'hen) chez un marchand d'hommes de Tréguier (marc'hadour a bréné konscrivet) ? Il revint du service au bout de sept ans et retrouva sa belle, qui l'avait attendu. Tant de constance de part et d'autre valait bien quelques rimes. Yann ar Gwenn ne les marchanda pas aux nouveaux époux. Je crois même qu'il contribua aux frais de la noce. Yann' n'aurait pas été barde jusqu'au bout s'il n'avait, comme tous les bardes mangé son bien avec son revenu.
- Et pourtant, me disait Françoise Le Quer, il gagnait gros comme lui. Quand il revenait de tournée avec sa femme, Marc'harit avait des pièces d'argent cousues tout autour d'elle, dans la ceinture de sa jupe
Ces pièces-là n'ont pas toutes roulé, à la rivière et quelques-unes ont dû prendre le chemin des auberges voisines. Mais n'anticipons pas, s'il vous plaît, et revenons à l'œuvre du barde. M. Tallibart m'a parlé d'un autre poème que Yann aurait composé l'occasion d'un incident héroï-comique dont Tréguier fut le théâtre, vers 1840, pendant les fêtes municipales.
- Au programme des réjouissances, me dit M. Tallibart, se trouvait une course à la nage dont une truie était l'enjeu. Il s'agissait d'attraper la truie par la queue et de la ramener sur la berge. Mais la queue avait été fortement suiffée et la truie se défendit mordicus. Aucun des concurrents ne parvint à l'attraper. La truie fut placée sous
séquestre. D'où un concert de réclamations, puis une véritable émeute. Yann ar Gwenn, qui assistait à la scène, sentit sa verve s'éveiller et composa sur ce thème une chanson qui eut un succès fou... Je n'ai pu, malheureusement, me procurer ce chef-d'œuvre. Il a eu le sort commun à la plupart des productions du barde, imprimées sur feuilles volantes, et qui s'en sont allées où vont toutes les feuilles. Aucune bibliothèque publique n'a pris soin de recueillir cette littérature éphémère de nos rhapsodes nationaux...

La "Dispute entre l'eau et le feu" est un chanson dans la tradition des joutes chantées (en breton : disput"). Les deux protagonistes sont ici les deux éléments, qui se critiquent mutuellement, essayant de réduire l'autre au silence. Il n'y a en fait pas de vainqueur.  Publiée chez le Goffic à Lannion, la marque de Yan ar Guen parle de sa manière de composer et précise le lieu où il vit : An hini en deus rymet ar guerzou-ma neve

E dicto d'eur scrivagner hac o lenno goude

Manans eo deus Pleuyel, e hano Yan ar Guen

 E traounien crec'h Suliet emedi e logen          

 

 

 

 

 

Regrettons-le. C'est chez Haslé, à Morlaix, que Yann ar Gwenn faisait ordinairement imprimer ses chansons. Il en porta cependant quelques-unes à mon père. Mais, comme ces chansons n'étaient pas toujours signées, leur attribution reste incertaine, exception faite pour le Débat entre l'Eau et le Feu (Disput entre an dour hac an tan),et le Débat entre un cordonnier et un sabotier (Disput entre ur c'hereer hac ur botoer coat), dont les envois finaux contiennent le nom de l'auteur.
Je ne puis mieux terminer le récit de mon pèlerinage au pays de Yann ar Gwenn qu'en reproduisant ici la meilleure -. qui est aussi là plus courte de ces deux compositions. Elle n'est plus dans le commerce. Et c'est donc une rareté. Je l'ai trouvée dans le cahier des chansons imprimées à Lannion, chez mon père, et qui fut mon seul héritage, avec la vieille madone en granit qui décorait la corniche extérieure de l'imprimerie paternelle et qui veille aujourd'hui sur ma maison de Trestraou (...)

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YVES BERTHOU, En Tregor à travers champs, Notes publiées dans le Clocher Breton entre 1910 et 1911. Rassemblées dans un numéro hors série de 1999, des "Cahiers de la Presqu'île", revue du Cercle d'Histoire et d'Archéologie de la Presqu'île,

Ce passage mentionne l'existence de compositeurs anciens qui ne faisaient pas imprimer leurs œuvres mais les copiaient sur des cahiers. En effet contrairement à une idée reçue , il existait dans la classe moyenne des bretons lettrés parfaitement capables d'écrire dans leur langue, ayant appris au travers de textes religieux. Certains de ces manuscrits ont été sauvegardés comme par exemple les "Aventures de Jean Conan". Malheureusement, une grande part de cette littérature populaire a été détruite, le plus souvent par négligence ou ignorance de sa valeur culturelle. Page 45 à 48, La poésie dans les moulins.

En l'année 1880, Cato Ravet, qui avait alors quatre-vingt sept ans, raconta à ma mère que mon bisaïeul Guillou Pichot, le grand meunier de Kerrac'h, un rejeton de celui-là qui descendant si noblement de "sur son cheval", composait des poèmes en faisant tourner ses moulins. Elle avait vu, autrefois, à Kerrac'h plus de cent cahiers écrits de la main du père Pichot et tous en langue bretonne. Aussitôt; ma mère se souvint que lorsqu'elle était enfant, elle avait trouvé sur une armoire une grande boite remplie de manuscrits qu'elle ne pouvait déchiffrer. et ceci évidement par la raison qu'ils étaient écrits en breton.
Elle tira parti de cette importante réserve de papier pour confectionner sur ses doigts des coiffes de poupée. Toutes ses petites amies se firent un devoir de collaborer à cette œuvre. Les journaux n'inondaient pas encore nos campagnes: le papier était plutôt rare. C'était là une magnifique aubaine. Je me rappelle la joie que J'éprouvais moi-même, beaucoup plus tard, quand il m'arrivait de dénicher un livre. Il m'en ait beaucoup passé par Ies mains de ces livres anciens imprimés en beaux caractères, reliés en veau, avec tranche rouge. Les lettres majuscules, commençant les chapitres, me causaient un certain étonnement notamment la dix-septième, ronde comme une pleine lune et soulignée d'une queue fantastique. Que de fois n'ai-je pas relu, tout en gardant mes vaches, les aventures de Télémaque dans un texte qui me semblait aussi bizarrement que fautivement orthographié. Ma pauvre mère s'accusa donc à son fils, humblement, d'avoir été la destructrice des manuscrits de son aïeul. Ce serait cet aïeul qui aurait composé certaine gwerze sur Isabelle Costiou, sa belle-sœur, et les frères Kervezou, dont j'ai tiré parti pour écrire mes Ames simples. Il aurait aussi composé une autre gwerze sur Kloareg Konairi et Yvonne de Cavcarlan dont j'ai pu noter quelques fragments restés dans la mémoire prodigieuse de ma mère, car, naturellement, les œuvres de mon aïeul se récitaient aux veillées. A ma demande, ma mère se plongeait dans une méditation profonde, le front emprisonné dans ses deux mains et elle en sortait avec des souvenirs très précis. C'est ainsi que j'ai pu dresser, sur ses indications, la généalogie de ma famille à la mode de Bretagne et je suis stupéfait quand je déroule les cartons où j'ai tracé de multitudes de lignes avec des noms. Je comprends que dans les temps antiques les Bardes aient pu conserver de mémoire tant de généalogies. Et je constate avec étonnement que le mécanisme de la mémoire humaine s'est complètement transformé s'il n'a même été détruit presque entièrement. Revenons au père Guillou. Le bonhomme n'avait rien fait imprimer, évidemment, mais, au dire de Cato Ravet, il gardait ses manuscrits comme des trésors. Il chantait d'ailleurs ses gwerzes à qui voulait l'écouter et son moulin qui était, parait-il toujours rempli d'auditeurs, savait moudre aussi bien la poésie que le bon grain.(...)
(...) Je n'attache pas trop d'importance aux manuscrits de mon aïeul. Ils avaient sans doute la valeur d'un manuscrit du 18ème siècle que j'ai trouvé au moulin de Beren à Pleubian. C'est une histoire de Moïse sous forme de tragédie. L'auteur était un nommé Laurent le Thomas, si l'on en croit cette mention en français plusieurs fois répétée au cours du texte breton: Fait par moi Laurans le Thomas, 1783. (Le manuscrit est actuellement à la bibliothèque nationale d'Aberystwyth en pays. de Galles). Les descendants de ce meunier habitent encore Milin Beren sous le nom de Le Flem.

Pages 56 à 63, Les bardes errants, Yann ar Gwenn.

Le barde Yann ar Gwenn, que Brizeux a fait figurer dans son poème Les Bretons, mourut vers 1850. Il y a donc des vivants qui se souviennent de ses chansons. Il ne me semble pas qu'il soit impossible de mettre la main sur quelques unes de ses œuvres, imprimées déjà sur feuilles volantes. Ces feuilles ont circulé de ferme en ferme, traînant sur les tables et sur les fenêtres, jusqu'à ce qu'un coup de vent les ait emportées. Qui donc encore aurait la bonne fortune de posséder quelques-unes des chansons que Yann ar Gwenn faisait imprimer à Montroulez, e ty Ledans Il serait à souhaiter que l'on en fit un recueil. Je ne prétends pas que l'on aurait un nouveau chef-d'œuvre, attendu que la langue du barde trégorrois n'était pas des plus pures, mais je puis affirmer que l'on formerait un bouquet d'un parfum exquis. La Muse de Yann ar Gwenn était fraîche et jolie, gracieuse et alerte, connue on le verra tout à l'heure par les courts fragments dont j'ai pu me souvenir.

Dans une de ses chansons, il nous fait connaître le lieu de sa naissance: la paroisse de Plouguiel, sur la rive du Guindy, près de Tréguier:

Yann ar Gwenn eo ma hano, ganet oun en ploueil,
Privet oun deus ar gwelet 'boue 'mboa nao miz bugel.

(Yann ar Gwenn est mon nom. Je suis natif de Plouguiel - Et je suis privé de la vue depuis mes neufs premiers mois d'enfance.)

Il perdit ses parents dès l'âge le plus tendre et fut recueilli par des pauvres de son voisinage. Les campagnes bretonnes sont divisées en petites parcelles par des levées de terre plantées d'arbres et d'ajoncs. Tous les chemins sont bordés de ces talus, appelés kleiou. Dans l'épaisseur d'un kleu l'on creusa un trou et c'est dans cet abri que l'enfant aveugle passait ses journées en implorant la charité des passants. Les autres enfants lui tenaient compagnie, et lui, curieux déjà, leur demandait des renseignements sur les êtres et sur les choses. Quand quelqu'un venait à passer sur la route, le petit Yann se faisait raconter par ses amis tout ce qu'ils en savaient. Malgré sa terrible infirmité, le jeune aveugle connut de bonne heure tous les habitants de la contrée.

Yann était né poète. Chez lui les vers coulaient de source. Au moindre événement, le petit Yann rimait une chanson. A quatorze ans, tenant son chien d'aveugle en laisse, il parcourait déjà le Trégor en compagnie d'une enfant de son âge. Cette compagne avait grandi avec lui, près de son trou, on la vit toujours à son côté, nul ne se souvient d'avoir vu Yann ar Gwenn sans sa compagne. Devint-elle son épouse ou resta-elle la sœur d'adoption que son malheur et sa douceur inaltérable avaient attachée à sa personne? Je n'ai pas pu le savoir. Il avait quatorze ans, et ses vers pleuraient déjà sur les seuils des fermes où l'Ankou venait de faucher une existence, ou bien riaient dans les cours pendant les fêtes de l'hyménée, ou bien encore chantaient les nativités sur les place des bourgs.. Il n'y avait ni fête, ni joie, ni douleur où ne fut Yann ar Gwenn, toujours inspiré, toujours ruisselant de poésie. Ce qui mit le comble à sa popularité, ce fut sa chanson sur Antonaïk Ar Rouz, Le seigneur du Bois-Riou, en Trévou, avait enlevé la fille de son fermier et l'avait logée en son château. Il n'en fallait pas plus à Yann pour composer une chanson nouvelle. Que de fois n'ai-je pas été bercé au rythme de cette sone dont je n'ai plus dans le souvenir que le premier couplet:

Deut'u ganin, koantennik, deut'u ganin d'am zi;
N'po netra d'ober bemdeiz, bemdeiz 'met kommandi,
Me ho lako da gousket 'n eur gwele 'tal an tan;
Mesk an tapissou voulous hag an ninselliou moan.
Hag eun aval oranjez 'vo en pep dit d'ean
Hag eun eostik-lin bihan ouz an treid o kanan.
Dre holl e vo lavaret, dre-holl ebars ar vro,
Ez hoch-u, Antonaik, mestrez en Koat-Riou.

(Avec moi, ma jolie, venez en ma maison. - Vous n'aurez jamais rien à faire que commander - Je vous mettrai à dormir en un lit près du feu - Dans le tapis de velours et dans les draps fins - Et une pomme d'orange sera mise de chaque côté - et le rossignol du lin à vos pieds chantera - Et partout l'on dira, partout dans le pays - Que vous êtes, Antonaïk, maîtresse en Bois-Riou.)

Cette chanson courut sur toutes les lèvres. Désormais la renommée du jeune barde était établie solidement. Il pouvait vivre de ses propres moyens. Il remercia ceux qui l'avaient recueilli et courut les foires et les pardons, un sac de toile blanche bourré de chansons, passé à son dos. Nul autre barde n'a vu tant d'empressement autour de ses œuvres: le sac se vidait comme par enchantement. Autant la voix de Yann ar Minous, qui était "manous", était désagréable, autant celle de Yann ar Gwenn était mélodieuse. Pendant plus de cinquante ans, sur les places publiques, sous le porche des églises, dans les parvis. des chapelles, aux aires neuves, on a vu Yann ar Gwenn et sa compagne se donner la réplique. Au rythme de ses vers, sa tête et son buste se balançaient harmonieusement, ce qui, parait-il, le rendait très original. Le peuple haletant, charmé, apitoyé, était suspendu aux lèvres de l'aveugle. Yann trouvait partout une famille. Il laissait là où il passait, un sentiment mêlé d'admiration et de pitié. Nul barde n'a été plus chéri et nul n'a mieux mérité l'amour du peuple. Aveugle de naissance, pour ainsi dire, il ne regrettait pas la lumière du jour. Il s'était fait une idée personnelle de l'univers. A l'époque où il vivait, ses compatriotes avaient encore la simplicité des anciens jours.

Yann Ar Gwen était toujours joyeux, toujours aimable. C'était un type primitif comme on n'en rencontrera jamais plus. Depuis tant d'années qu'il errait de canton en canton du printemps à l'automne, il connaissait toutes les routes, tous les bourgs perdus les montagnes ou des côtes, les hameaux, les chapelles autour desquelles se tiennent les pardons, les fontaines miraculeuses, les fermes les plus ignorées, les chemins de traverse ombragés ou arides, ensoleillés, déserts et parfumés où s'épanouissent toutes les fleurs de son âme entre ses deux amis inséparables, sa compagne et son chien.
Quand on voyait venir de loin ce groupe, attendu parfois pendant une année entière, on l'annonçait à grands cris: "Yann ar Gwenn! Yann ar Gwenn! Voici Yann ar Gwenn!" Et l'on se précipitait vers la barrière que l'on ouvrait toute grande et le Barde, à l'entrée de la cour s'arrêtait, respirait fortement, sa poitrine s'enflait comme celle d'un oiseau, en chantant ses souhaits de bonheur. Et l'on disait: entrez, Yann ar Gwenn, entrez donc, venez manger un morceau. On l'entourait, chacun voulait le toucher, le caresser, recueillir les paroles qui coulaient de ses lèvres. On lui confectionnait de bonnes crêpes de froment bien beurrées sur lesquelles on cassait des œufs tout entiers. C'était jour de fête: on était si fier de posséder le Barde. Lui n'avait qu'une façon de remercier: composer sur l'heure un nouveau compliment. C'est ainsi qu'il s'acquittait de l'hospitalité qu'on lui donnait. Les enfants pleuraient quand il parlait de partir. On protestait. On voulait le garder encore; on le priait, on le suppliait. Mais on devait se résigner et se séparer. Ne fallait-il pas finir la tournée? Voir tous ses amis, porter et recueillir les nouvelles?. Que de fois n'ai-je pas entende ma grand-mère parler de Yann ar Gwenn avec une émotion inexprimable, au souvenir de son passage dans leur maison. Mais les chansons que savait ma grand-mère sont parties avec elle et ma mère était encore jeune quand le barde mourut. Je l'ai cependant quelquefois entendu chanter Triphina Keranglaz, Janedic ar Gallik, Ewantik al Liker et tant d'autres choses touchantes qui m'arrachaient des larmes et dont je n'ai plus le moindre souvenir. J'ai noté cependant, il y a quelques années, un certain nombre de couplets qui, ma mère me l'affirmait, étaient de la composition de Yann ar Gwenn. Assurément ils portent sa marque. Je les transcris ici. On remarquera combien ces vers sont coulants, pimpants et bien rythmés. Il n'y a pas à s'y tromper: ils sont d'un poète:

Yvonaïk a lare, d'he zad, d'he mann, eun de,
-Me 'meus choant da dimezi, mar eo ho polante,
Gant eun artisan yaouank a barrez Zant Jili:
Donet e ra d'am gwelout ha plijout e ra d'in.

Yann Raison a lavare da Warin, an traitour;
- Gra d'in kaout ar benherez, hag evit da zikour,
Ma a roïo d'id kant skoed hag eun habit nevez
Hag az miro de vevel, en tro pad da vuez.

Yann Warin, pa 'n eus klevet, n'eus ket kollet e boan,
Taolet 'n eus ar chouistantin en zouben Yvonan.
Yvonan pa deus debret eun daou damm pe eun tri,
He deus taolet ar skudel e kreiz leuren an ti.

He deus taolet he skudel hag he zaolet hep poan,
Hag eo aet da Geverzo da beur-zibri he c'hoan

Person Zant Jili 'lare, ar zul warlerech ar pron:
-Zant Jili, emean, laeret 'zo eur pichon
l,aeret a zo eur pichon lech na oa nemet-han,
Me ho ped Zant Jilliz da ob'er hen rentan.

Abitanted Zant Jili, en reket o ferson
A zo aet da Gerverzo da velet Yann Raison.
Yvona, d'ê lavare.- - Deut hoch 'ta d'am c'herchat:
Ma lech zo ama brema, ha n'hallan ket kwitat.

etd'ober gourc'hemennou, aet d'ober, d'am ferson,
Rak warchoaz vin eureujet ha gant Yannik Raison
Ha choui holl, ma mignoned, e barrez Zant Jili,
Deut da gemer ho loden eus festou an dimi.

Yvonnaïk à son père et sa mère, un jour disait: Je désire me marier, si telle est votre volonté - Avec un jeune artisan de la paroisse de Saint-Gilles vient me voir et me convient.

Yann Raison disait à Goarin, le traitre Fais moi épouser l'héritière et pour ton aide - Je te donnerai cent écus et un vêtement neuf - Et je te garderai comme domestique pour le reste de tes jours.

Quant Yann Goarin l'a eu entendu, il n'a pas perdu son temps - Il a jeté le chouistantin (?) dans la soupe d'Yvona - Yvona quand elle a eu mangé deux ou trois cuillerées - A jeté son écuelle au milieu de la salle.

Elle a jeté son écuelle et sans regret - Elle est allée à Kerverzo achever son dîner.

Le recteur de Saint-Gilles disait le dimanche, après le prône: - Saint Gilliens, on a volé une colombe - On a volé une colombe, là où elle est unique - Je vous prie, Saint-Gilliens, de la faire restituer.

Les habitants de Saint-Gilles, à la requête de leur recteur, - Sont allés à Kerverzo pour s'entretenir avec Yann Raison. - Yvona leur déclara: Vous êtes venus pour me chercher - Mais ma place est ici désormais et je ne m'en irais pas.

Allez faire mes compliments, allez les faire à mon recteur - Car demain je serai mariée avec Yann Raison - Et vous tous, mes amis de la paroisse de Saint-Gilles, - Venez prendre votre part au festin de mes noces.

Qui donc se donnera la tâche de rechercher les poésies de Yann ar Gwenn? Il eut presque toujours soin d'introduire quelques lignes pour s'en attribuer la paternité: "Cette chanson fut composée par Yann ar Gwenn, natif de Plouguiel."
Celui qui ferait une gerbe de l'œuvre éparpillée de ce poète si délicat et si sincère ferait œuvre méritoire. Il enrichirait singulièrement la littérature populaire bretonne, tout en mettant en lumière les mœurs de nos campagnes au cours de la première moitié du XIXème siècle.

Note: Depuis que ces notes ont été publiées dans le Clocher Breton, M. Le Goffic s'est livré à une enquête sur Yann ar Gwenn. Il y a lieu de remercier M. Le Goffic. Mais je crois devoir m'élever contre une insinuation toute gratuite par lui formulée timidement, d'après laquelle le barde aurait été un ami de la bouteille. La vénération que les miens avaient gardée à la mémoire du barde m'interdit de faire le moindre crédit à une allégation tendancieuse qu'aucune preuve ne vient étayer.

Yves Berthou propose ici un portrait du chanteur Yann ar Minous, qu'il a connu dans son enfance et qui était très populaire.

Pages 54 à 56, Les bardes errants, Yann ar Minous

Nous avons en Bretagne depuis l'année 1900 une institution bardique - le Gorsed - dont les membres sont des bardes instruits qui ne dédaignent pas de prendre contact avec le peuple, mais les bardes populaires, les bardes errants qu'ont connus nos pères ont disparu. Le dernier d'entre eux fut Yann ar Minous. MM. Le Goffic et Le Braz ont remplacé son vieux chapeau pointu et percé par une auréole éclatante et burlesque. On a quelque peu exagéré les mérites de ce brave homme, bien qu'il fut, certes, de beaucoup supérieur aux coureurs de foires et de marchés qui lui ont succédé sans le remplacer.

J'ai beaucoup connu Yann ar Minous dans mon enfance. Il avait son domicile à Pleumeur-Gautier, commune attenante à Pleubian, et j'ai eu maintes occasions de le voir et de l'entendre à toutes les foires de la Presqu'île et à la grande foire annuelle de Tréguier. Quoique son talent fût tenu en assez médiocre estime, quoiqu'il passât même pour un pauvre d'esprit, la foule se pressait autour de lui. Il avait une voix nasillarde du plus déplorable effet. Son nom aurait pu être Yann ar Mannous (le nasillard).
Yann a eu de la chance: la notoriété qui ne lui vint pas de son vivant est accourue à lui après sa mort. Moi aussi J'ai payé mon tribut à ce barde errant dans un poème de ma lande fleurie. Le barde de Pleumeur est devenu à ce point célèbre que le collaborateur d'une revue nantaise lui décernait en 1909 le titre de "fameux" sans l'avoir connu, sans avoir lu une ligne de lui, sur la simple fois de Monsieur Ouï-Dire. Un couplet de Yann ar Minous chante encore dans ma mémoire après -plus de quarante ans; il n'est guère fameux, mais c'est le premier couplet d'une chanson d'écolier. Quoique je ne fusse pas un fervent de l'école buissonnière je l'ai faite une seule fois et je n'eus pas envie de recommencer ayant failli me noyer en mer à cette occasion - quoique étant même un écolier studieux, j'aimais à chanter cette chanson avec mes camarades pour l'air crâne qu'elle nous procurait:  

Me'zo eur potrik yaouank, joaus ha dizoursi
Ha na-garan netra well evit choari doumpi.
Ober skolik al louarn ive choaz a garan.
Evit mont da nejata, da chou'rn, da'n emgannan.

(Je suis un jeune garçon joyeux et sans souci - Qui n'aime rien mieux que de jouer à la toupie - J'aime aussi faire l'école buissonnière - Pour chercher des nids, pour lutter et pour me battre.)

La muse de Yann était aussi dépenaillée que lui-même. Elle avait un vocabulaire dépourvu de distinction. Témoin ce distique de je ne sais plus quelle tirade satirique:

Me zo evel bugale Goaz ar Zoud:
Pa vrom o zad, a loufônt tout.

Cela ne peut se traduire en français sans braver la bienséance, c'est le cas de le dire. Yann débitait ces suavités sur la place de Tréguier, monté sur la murette de la "levée", non loin de l'endroit où s'affale aujourd'hui la statue d'Ernest Renan dominée par Pallas (le peuple prononce paillasse). Inutile de dire que les auditeurs s'amusaient follement. Le Trégor est la contrée pantagruélique par excellence

.  

Chanson nouvelle faite par Yan ar Minous sur le tresseur de vans et le tailleur de pierre - Sur un air joyeux. Cette chanson est une composition de Yann ar Minous, publiée chez la Veuve Le Goffic à Lannion. Il s'agit de l'aventure d'un tailleur de pierre (piker-men) et d'un tresseur de vans (rideller), profession aujourd'hui disparue. Les deux hommes se rencontrent et le rideller se plaint de sa condition par rapport à celle du tailleur de pierre qui justement vient de toucher son salaire.Ce dernier doit rentrer dans sa paroisse et le rideller lui propose de passer par un raccourci qu'il connaît. Les deux hommes se perdent et finissent par dépenser leur argent en boisson et nourriture. Rentré en fin chez lui, le tailleur de pierre doit affronter le colère de sa femme..... La signature chantée est la suivante :

Kazi, zo-ken, na gredan ket (Quasiment même je n'ose pas) Laret dac'h piou ez-hon hanvet (Vous dire comment je m'appelle) Gant doan rag ar ridelaerien (Par crainte des tresseurs de vans) Ha gant doan deuz ar bikerien (Et par crainte des tailleurs de pierre) Rag ma klevfent e venn Minouz (Car si ils entendaient que c'est Minous) E teufent buan d'am gourdrouz (Ils viendraient vite me menacer)

 

 

 

 

 

Cette Vie de Marie, longue chanson publiée chez la Veuve Le Goffic à Lannion montre que Yann ar Minous abordait aussi les sujets religieux. Il signe de la manière suivante à l'intérieur d'un couplet :  Ar Minous ar hompositer Deus hantiquo brezonec


 

 

 

 

C'est aussi sur la levée de Tréguier que je le vis se livrer un jour à une mimique d'un comique intense. Je ne sais plus s'il improvisait ou s'il psalmodiait de mémoire, toujours est-il qu'une lacune se produit dans ses idées. Un proverbe affirme que "qui se sent morveux se mouche." Yann faisait allusion à un morveux, soit au propre soit au figuré! Or, ni en breton, ni en français, le mot ne pouvait sortir. En désespoir de cause, Yann se prit le nez entre le pouce et l'index et fit en sorte que tout le monde comprit. En l'année 1900, année de mon retour au pays, passant par le bourg de Pleumeur, j'eus l'idée de chercher la tombe du barde. Je la découvris sans trop de peine. Le tertre était fort bien entretenu et pourvu de fleurs, il était surmonté d'une petite croix de sapin, peinte en blanc et haute de cinquante centimètres. Cette croix portait l'inscription suivante en lettres noires:

Ici REPOSE LE CORPS DE Jean LE MINOUS DCD le 21 juin 1892 Agé de 67 ans P.D.P.L.

Le fils du barde était alors officier marinier dans la flotte et sa belle-fille tenait au bourg un petit commerce.

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LE CHEVAL D'ORGUEIL Mémoires d'un Breton du pays bigouden. de PIERRE-JAKEZ HÉLIAS, Traduit du breton par l'auteur. (Page 147) Pierre-Jakez Hélias parle des cantiques et des airs employé pour les chanter. Une grande majorité des cantiques du livret cité étaient également imprimés seuls sur feuilles volantes.

(...) Ma mère me confie le livret des Cantiques Bretons de l'évêché de Quimper et de Léon, nouvellement édité en 1908 à l'initiative de notre évêque Adolphe Duparc. Elle-même les connaît par coeur, les chante bellement, me les fait répéter parfois de peur que je ne lui fasse honte. Il y en a environ quatre-vingts. Certains sont particuliers à la région du Léon, ce sont les moins sus. Parmi les autres, il y en a qui ne se chantent que dans les occasions solennelles, tel cet Angelus pour le temps de Pâques que nous attendons toujours avec impatience.

 

La Vierge en a sa large part, sans compter le cantique de Notre-Dame de Penhors notre chant paroissial particulier, qui n'est pas dans le livre à notre grand dépit. La Trinité n'est pas oubliée. Il y a le Cantique des Fins dernières, celui de l'éternité, celui de la Mort, celui du Jugement dernier, celui du Charnier, celui de l'Enfer, celui du Purgatoire et celui qui console de tous les autres, le Cantique du Paradis (vingt-huit couplets). Toute la morale chrétienne est ramassée là-dedans avec, de temps en temps, des menaces non voilées pour le pécheur endurci. Il y a le cantique du Diable muet, fait pour inciter à ne rien cacher de vos péchés en confession, à peine d'enfer. Il y a même la Complainte de l'ivresse (ou de l'ivrognerie), seize couplets en alexandrins de treize pieds, composée pour détourner les hommes et les femmes des boissons fortes, mères de tous les vices, qui conduisent à toutes les déchéances et finalement au trou de l'enfer. Elle est insérée au milieu des autres pour l'édification des fidèles, mais je ne l'ai jamais entendu chanter, sinon peut-être hors de l'église, par certains chanteurs populaires dont on dit qu'ils étaient payés par les autorités civiles, au début du siècle, pour lutter contre l'alcoolisme comme ils ont été payés, pendant la guerre de 1914, pour chanter Son an Aour (la Chanson de l'Or) qui engageait les gens à donner leur or pour la Défense nationale. D'autres cantiques, comme celui du Laboureur dévot, vision idyllique de la vie de l'homme des champs, accumulent, d'un couplet à l'autre, les raisons qu'il a de supporter chrétiennement son sort :

"Guerre de 1914-1915- Chanson au sujet de l'or" composée par Paotr Montroulez (Francis Gourvil) sur l'air de "Er Finister ez on ganet" afin d'appeler à souscrire à l'emprunt de guerre en changeant leur or contre des titres.

 

 

 

Page de garde et extrait du livre de cantique dont parle P.J. Helias

Aman pell diouz an trouz
Hag oll salar ar bed
Ar mêziou am helenn kerkoulz
Hag an abila doktored.

ici, bien loin du bruit
Et de tout le vacarme du monde
Les champs m'instruisent aussi bien
Que les plus habiles docteurs

Ils apprennent aussi à mépriser les grandeurs et les richesses du monde. Pour vivre dans la joie, ne suffit-il pas d'aimer Jésus et la Vierge.

Evid beva gand revenez
N'eus ket ezomm aour na perlez
Nag eur hastell a ve savet
E gern beteg bro ar stered
Dirdan ar soul, en eul lochenn
Ar paour a hell c'hoarzin laouen.

Pour vivre dans la joie
Pas besoin d'or ni de perles
Ni d'un château qui porterait
Son sommet au pays des étoiles
Sous le chaume, dans sa cabane
Le pauvre peut rire de joie.

Et enfin le Cantique de la vie brève, l'un des plus beaux, répète la leçon : il faut mépriser les plaisirs du monde, toute chose passe, il n'y a que Dieu d'éternel, que le salut qui importe

Selaou va breur ker
Buhan ya an amzer
Tremen ra peb tra
Nerz, madou, yehed
Yaouankiz ha kened
Tremen ra pep tra (d.w.).

Ecoute, mon cher frère,
Le temps marche vite
Force, biens, santé
Toute chose passe
Jeunesse et beauté
Toute chose passe (bis).

Dans le livret, la musique manque. A quoi bon, nous ne savons pas la lire. Sous la plupart des titres, on a marqué Ton anavezet (air connu) ou Ton nevez (air nouveau) comme dans les chansons populaires sur feuilles volantes qu'on vend dans les foires. L'un des cantiques se chante sur l'air de la jeune fille d'Ouessant (Plac'hig Enez Eussa) qui doit être célèbre dans le Léon. J'apprendrai beaucoup plus tard que le Barzaz Breiz, Ce fameux recueil de poèmes bretons publié par La Villemarqué vers le milieu du dix-neuvième siècle, a fortement inspiré les auteurs des cantiques. Non contents de reprendre le Chant des Trépassés, adapté en Cantique du Purgatoire, et le Cantique du Paradis, ils empruntèrent, pour leurs compositions, les airs d'une demi-douzaine de poèmes épiques ou lyriques du Barzaz : Emgann an Tregont (le Combat des Trente), Lez-Breiz, Bale Arzur (la Marche d'Arthur) Penherez Keroulas (I'Héritière de Keroulas), Ar Chouanted (les Chouans). Ils le firent avec raison car ces airs-là plaisaient particulièrement à la population qui y reconnaissait sans doute des accents familiers. Et les paroles qu'ils supportaient entrèrent facilement dans les mémoires, ce qui était le but recherché. Le Cantique du diable muet était à chanter sur l'air de la complainte de la ville dIs, l'une des plus célèbres en Basse-Bretagne. Mais je puis témoigner que le chant le plus fermement exécuté dans l'église de Saint-Faron et de Saint-Fiacre est Da Feiz on Tadou Koz (A la foi de nos ancêtres) par lequel l'assistance entière, à la fin de la messe, promet de rester fidèle à la religion de ses pères, jurant de mourir plutôt que de l'abandonner (....).

(Page 184) Description du pardon de Notre-Dame de Penhors et des différents petits commerces qui s'y installaient pour l'occasion. La marchande de feuilles volantes décrite par P.J. Hélias est très probablement Mari Kastellin.

(....)Tous ces gens parlent déjà français, ce qui intimide la clientèle et la subjugue à la fois. Mais les marchands bretons bretonnants ne sont pas délaissés pour autant. Avec eux, on en a toujours plus ou moins pour ses sous. Et puis, ils connaissent mieux les goûts des gens sérieux, étant de la famille. Dans la cohue qui se presse devant la boutique à mirages, les mendiants se frayent un chemin difficilement, bredouillant des prières, sébile en main pour susciter quelques aumônes de repentir, qui sait ! Mais ils s'en vont, sachant que leur heure est passée. S'en va aussi un petit charreton tiré par des chiens. Y siège une assez grosse femme portant la coiffe d'un autre pays et qui morigène les gens dans un breton sonore, pour qu'ils lui fassent place et tout de suite. C'est une vendeuse de ces chansons populaires sur feuilles volantes qui racontent, en multiples couplets, les infanticides, les naufrages, les retours de guerre, les malheurs des ivrognes, les amours contrariées. je ne l'ai pas vue en action, mais j'entends dire qu'elle a fait de bonnes affaires. Et pourtant, on ne la reverra plus qu'une fois ou deux. La jeunesse préfère déjà les chansons en français. Celles de Botrel et de Paris (...)

 

Dessin représentant Mari Kastellin au dos du recueil de chansons "Kanaouennou Kerne"

 

(Page 248) A propos des élections et de l'usage des chansons sur feuilles volantes comme matériel de propagande.

(...)Vieilles histoires déjà puisque toute une guerre a passé dessus. Et quelle guerre ! Mais justement cette guerre a été providentielle pour les Blancs dont quelques-uns auraient dû aller moisir sur la paille à la prison de Quimper. Rappelez-vous ! Un peu avant la mobilisation, monsieur Le Bail avait été élu député. Les Blancs ne décoléraient pas. Il se trouva que des maçons de Plozévet eurent une maison à bâtir au bourg de Pouldreuzic. Le lendemain de l'élection, avant de commencer leur travail, ils brandirent un drapeau tricolore et entreprirent de défiler dans les rues en clamant une chanson en l'honneur de monsieur Le Bail. Des chansons comme celle-là, c'était l'habitude d'en lever et d'en faire imprimer pour ou contre les candidats. Les feuilles volantes étaient largement distribuées par les concurrents qui payaient même des chanteurs populaires pour les chanter sur des airs connus. Et cela continue encore un peu, bien que l'on ait trouvé d'autres moyens de propagande. Mais la chanson des maçons baillistes était particulièrement élogieuse pour le nouveau député et offensante pour ses ennemis.

(Page 472) Devenu lycéen à Quimper, P.J. Hélias découvre les chansons françaises sur feuilles volantes mieux connues sous le nom de "petits formats". Ce témoignage date de l'entre-deux guerres et montre la concurrence grandissante des chansons en français

En ce qui me concerne, je suis en train de vivre difficilement le moment qui passe quand j'avise un énorme parapluie rouge, grand ouvert, sur la place des Vieilles Halles. Entouré d'un cercle de jeunes gens recueillis, il dégage des flonflons de musique et des éclats de voix (....). Je braille à pleine gorge Mont'là dsus, tu verras Montmartre. Cette affaire me coûte pourtant quelques sous, le prix d'une poignée de papier bon marché qui porte l'image d'un homme souriant, avec un chapeau de paille si plat qu'il fait pitié. Quand on ouvre chaque feuille, pliée trois fois, on trouve à l'intérieur une demi douzaine de chansons, certaines anciennes et célèbres paraît-il, parmi elles les dernières fabriquées à Paris, avec la musique s'il vous plaît. Vous avez deviné que ce parapluie rouge est le pavillon léger des modernes troubadours en plein vent. Des marchands de chansons françaises. Il y a là-dessous une pièce de femme entrelardée grassement qui s'est dessiné des lèvres en peinture rouge sur ses lèvres de chair pour les rétrécir de moitié. Quand elle a vendu une brassée de feuilles à travers la foule, elle s'attaque à mugir un couplet après l'autre dans une sorte d'entonnoir bosselé. Et c'est proprement stupéfiant de voir briller des dents d'or de part et d'autre de sa bouche factice, d'entendre sortir une voix de taureau de ces deux pétales de rose. Elle est accompagnée par un gentilhomme morose qui martyrise un accordéon sans daigner soulever une fois de sa chaise un arrière-train délicat. Ceux qui savent lire suivent de leur mieux l'air et les paroles sur la feuille de papier, les autres les boivent sur les lèvres incertaines de la chanteuse. Il y a de l'émotion dans les cœurs et des larmes dans les yeux, surtout à cause de certains vers qu'on ne comprend pas bien. A beau mentir qui vient de loin. Le français a des résonances plus insolites, pour nos oreilles, que n'en aura plus tard un negro-spiritual (...)

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Jean CHOLEAU, De ROSCANVEL à LANDRAVAN, Seconde Edition, Unvaniez-Arvor, Vitré, 1946

Ce livre est une suite de textes courts relatant les impressions de l'auteur au cours de séjours dans différentes villes et villages de Haute et Basse-Bretagne. A Pont-Croix et à Châteaulin, Jean Choleau décrit des chanteurs de chansons en breton sur feuilles volantes.
Le chanteur aveugle prénommé François dont il est question est très probablement François Benoît, né à Coray en 1896. Aveugle de naissance, il habitait Elliant et composait des chansons pour améliorer son ordinaire.

Page 34, le chanteur aveugle

Eur ganaoun nevez pehini zo savet
Ebars eur blavez mil nao hant e bars eur blavez tregont
Savet digan an den dimezet, ho ton da guer deus a foar
Ha neuz nemet hon dra-ze evît gounit he vara.

Assises sur le muret de la grand'place, les femmes se penchent, l'oreille tendue au-dessous d'elles. Leurs coiffes, celles des jeunes, de Lescoff, de Mahalon ou de Beuzec ; celles des vieilles, bigoudenn ou capistes, s'agitent de contentement... Près de la halle aux grosses poutres de bois, contre le mur, le chanteur aveugle dit sa " chanson nevez ". Il scande ses paroles avec le pied droit, puis avec le pied gauche.

D'une main, il tient son parapluie, et au coude son panier où voisinent feuilles de chansons, lard et pain noir.
C'est le barde populaire : petite figure souffreteuse et parfois inspirée sous le large chapeau de Scaër... Il est d'Elliant et se nomme Benoît. Autour, beaucoup de jeunes, beaucoup de vieilles et de vieux, qui écoutent et fredonnent la "son nevez " levée par un cloarec au Pays de Cornouailles.

Eur ganaoun nevez pehini zo savet
Ebars eur blavez mil nao hant e bars eur blavez tregont

Pont-Croix, 19 décembre 1930.

Page 69 et 71, descriptions d'autres chanteurs.

On les voit dans les foires et les marchés, les pardons et les assemblées, les pèlerinages et les noces, traînant avec eux leur triste cortège d'infirmités, murmurant les prières que seules leurs lèvres connaissent encore et suppliant leurs frères bretons : en hano ar Tad, ar Mab hag ar Spered-Santel...

Voici Benoît. Il vient d'Elliant par Rosporden panier au bras, conduit par sa fille, il va, disant tout le long de la route des choses secrètes. Et la petite, dans sa défroque de la. ville, comprend. Au premier mendiant posté sur son chemin, elle verse l'humble obole d'un moins pauvre. Sur "plas ar foar ", adossé au mur, il chante son éternelle chanson toujours sur le même air, ou bien une autre chanson, aux paroles françaises, pour sacrifier à la mode... Les bruits environnants le gênent : il tend la main en cornet à son oreille. Il scande du pied la mesure... Les feuilles imprimées se vendent, les piécettes tombent, le cercle s'agrandit autour de Benoît et de sa fille...

Barde populaire s'il en fut, il mérite que les autres bardes, les riches, ceux-là qui ne s'installent pas sur la place publique, récompensent sa propagande.

Voici Pipi. Plus aveugle que Benoît, peut-être. Artiste lui aussi. Son chien le guide, dans les gares et sur les routes. L'accordéon, enclos, en sa boîte de bois, bat ses flancs. Au marché, devant le Petit Séminaire de Pont Croix, assis sur son coffre, toute la sainte journée, jamais las, il joue des airs que personne n'écoute et qui bercent les rares voisins. Son plat d'étain, posé à terre, reçoit l'aumône des paysans.,. Le soir, au retour, la recette comptée, c'est un joyeux compère que Pipi. Il n'y en a pas comme lui pour dire l'heure à une seconde près, en promenant.

Ces deux chansons ont été composées par le morlaisien Louis Le Brun (1841-1911). Regiment ar merc'het yaouank (le régiment des jeunes filles ) est une chanson drolatique où l'auteur imagine une armée où les filles sont affectées aux tâches militaires selon leur physique, leurs qualités supposées, ou leur métiers. Eun dimezi gret gant eur vamm est

 

Voici Iann Skouer, le petit gros, marchand de chansons. En sa besace voisinent les " Kimiadou eur Zoudart Yaouanc partiet evit Madagascar " ' la " Son Gouel Roc'h Kerlaz", I'"Histor admirabl demeus ar Boudedeo " et " Regiment ar Merc'het Yaouank ", "Eun Dimezi gret gant ar Vam" et "Buez Santez Genovefa a Brabant " Ses petits yeux rougis, sa grosse figure de gras chanoine se réjouissent quand, fendant la foule qui l'enserre, un amateur lui achète la dernière complainte de l'âme bretonne ou la sône nouvellement levée en terre de Cornouailles.

Pont-Croix et Châteaulin, juin 1932.

 

 

"L'histoire admirable du Juif errant" explique pourquoi cet homme fut condamné par Dieu à marcher à travers le monde jusqu'au Jugement Dernier pour avoir refusé à Jésus, épuisé de porter la croix, de se reposer contre son échoppe. Cette chanson dont le thème n'est pas spécifiquement breton a été adaptée en insérant des couplets sur la Bretagne. En effet, parmi ses souvenirs, le "boudedeo" indique qu'il a connu la ville d'Ys, Lexobie et qu'il a vu l'emplacement de nombreuses villes de Bretagne quand il n'y avait que des bois, des champs et des forêts..

 L'édition montrée ici date du début du 19ème siècle et a été publiée chez Alexandre Lédan à Morlaix.

 

 

 

 

 

 

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Mémoires d'un Paysan Bas-Breton - Jean-Marie DEGUIGNET (1834-1905)
(Editions An Here, 1998)

En 1850-1851, Jean-Marie Deguignet a 17 ans, il a été engagé comme vacher à Kermahonec en Kerfeunteun près de Quimper, dans la ferme modèle de Clément-François Olive, professeur d'agriculture. Il témoigne du succès de la Guerz de Ker Ys composée par Emile Souvestre. On notera également la pratique qui consistait, pour ceux qui ne savaient pas lire, à se faire aider par un répétiteur. L'illettrisme et l'analphabétisme n'était donc pas un obstacle à la diffusion des chansons en breton sur feuilles volantes.

Page 91
(....) Ce fut pendant que j'étais à Kermahonec que parut un nouvelle guers sur cette fameuse ville d'Ys. C'était du reste le temps des guers; on en fit une sur chaque chapelle, qui racontait les innombrables miracles opérés par le patron ou la patronne du lieu; ces guers se terminaient toujours à la façon du quatrième évangile, celui du fameux Jean, qui doit être l'ancêtre des Gascons. Une de nos bonnes avait acheté cette guers en allant porter du beurre en ville. Car ces bonnes filles aimaient toutes choses, la messe, la confession, les cantiques, les sermons, les chansons, les guers et le libre amour conjugal. (....)

 

Page 95
(.....) Cette guers de Ker Ys fut achetée pour moi, car de tous les serviteurs de Kermahonec, moi seul savait lire le breton. Je fus donc obligé de leur chanter cette guers, et très souvent, car elle leur plaisait beaucoup, surtout aux femmes qui cherchaient à l'apprendre par cœur. Cette guers, comme je l'ai déjà dit, n'est que la légende rimée de la catastrophe de la ville d'Ys....

 

 

 

 

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CHARLES CHASSE, Extrait de l'introduction rédigée pour le Catalogue Bibliographique de Joseph Ollivier (pages 61 à 66).

(....) Outre les biographies des auteurs-chanteurs, il serait intéressant aussi de posséder une documentation sur les chanteurs qui, ou bien escortaient les inventeurs de chansons ou bien s'en allaient seuls les répandre dans d'autres communes. Ce qu'Ollivier nous dit de ces modestes agents de diffusion nous donne envie d'être renseignés davantage sur leur compte. N'évoquent-ils pas en nous le souvenir d'un homme dont ils pourraient se réclamer comme d'un ancêtre glorieux en son humilité, ce Guillaume Yvonnic qui, pendant 15 ans, accompagna le Père Maunoir dans ses déplacements, tout en vendant cantiques et chapelets ? Sur ces pittoresques crieurs, le mot étant souvent pris au sens littéral du terme, il serait possible de constituer toute une anthologie de textes littéraires nous les montrant dans le leu de l'action. Anthologie qui concernerait aussi bien d'ailleurs les compositeurs-chanteurs que les chanteurs tout court ; car les textes, fréquemment, n'établissant pas de distinction bien nette entre les deux groupes, le barde ambulant tantôt proférant les œuvres d'autrui, tantôt les vers qu'il a lui-même élaborés.

 

 

Tristan Corbière, dans son Pardon de Sainte Anne la Palud, a immortalisé la vieille femme qui, le jour du pardon, présente les cadences un peu rudes le chant dont elle a la garde

Une forme humaine qui beugle
Contre le Calvaire se tient,
C'est comme une moitié d'aveugle
Elle est borgne et n'a pas de chien...

C'est une rapsode foraine
Qui donne aux gens pour un liard
L'Istoyre de la Magdalayne,
Du Juif-Errant ou d'Abaylar.

Elle hâle comme une plainte,
Comme une plainte de la faim,
Et, longue comme un 1 jour sans pain,
Lamentablement, sa complainte...

Portrait admirable dont je m'excuse de ne citer ici que le début.

De Brizeux, j'ai déjà donné le passage sur Yann ar Guen (chant XXII des Bretons). Mais au XIXème chant, voici encore quelques vers sur un aède du marché de Quimper, compositeur aussi celui-là

Il était là, le barde, au port franc, à 1'oeil vif !
Cet hiver au village il ne fut point oisif.
Tandis que son moulin broyait l'orge ou le seigle,
Lui, couché sur les sacs, suivant son goût pour règle,
Tout en voyant tomber la farine et le son
Et sa meule tourner, tournait une chanson,
Et la foule, attirée aux airs de sa bombarde,
Aujourd'hui répétait les cantiques du barde
Airs anciens et nouveaux. Quand s'arrêtaient les chants.
Soudain recommençaient les appels des marchands.

Au XXe chant, voici encore Un autre meunier poète

Au milieu de la place est Ban-Gor. Sa parole
Assemble autour de lui la foule et la console.
Le barde, dans un chant énergique et sans art,
Des conscrits de Plomeur racontait le départ.
Cet éloquent meunier, debout près de l'église,
Comme il chante avec feu, malgré sa barbe grise !
Oui, tout autre chanteur, aveugle ou mendiant,
Qui, mené par son chien, s'en va psalmodiant,
Honteux, devrait se taire en face d'un tel barde
Que tous ont surnommé le Roi de la bombarde !

La cécité, souvent, est une des caractéristiques du chanteur ambulant, qu'il soit ou non créateur de l'œuvre. Cambry qui, au cours de son Voyage dans le Finistère, en l'an III de la République, nous donne la traduction d'une dizaine de fragments de chansons bretonnes sans nous dire s'ils sont empruntés ou non à des feuilles volantes, nous parle d'une chanteuse : "Barbe Derrien, femme aveugle qui, de Scaër qu'elle habite, se fait conduire aux foires du voisinage pour y chanter de vieilles chansons ". C'est elle qui lui chante le Mari trompé, transcrit par Lédan dans ses manuscrits.

Premières pages de second tome du livre de Cambry édité en l'an VII de la République à Paris par la Librairie du Cercle Social. La gravure de gauche représente "un poissonnier et des filles de la côte près Pont-L'Abbé"( coll. part. TR)

Dans Breiz-Izel ou Vie des Bretons de l'Armorique, publié en 1835, Bouet consacre un de ses chapitres au "Chanteur de complaintes " (ar c'haner).

" Le pèlerinage dit Bouet ne serait pas complet si, après les offices, la procession et les ablutions à la fontaine sacrée, on ne rendait visite au chanteur de cantiques et de gwersiou, et à la boutique industrieusement placée par sa femme sous le patronage de la sainte Vierge. C'est là qu'on fait emplette pour soi et pour ceux du logis qui n'ont pu venir au pardon, de jolis chapelets, verroterie et de longs rosaires en os dont les dizaines sont plus nombreuses qu'élégantes, de croix, d'amulettes, de pennou, sortes de médailles grossières qui présentent en relief la tête du saint que l'on fête, ou enfin d'images coloriées à grands traits et encadrées de leur légende. Une chaise est l'humble théâtre sur lequel chante, en s'accompagnant d'un aigre violon, le successeur des bardes de l'Armorique. Adossé à une vaste enseigne où des pinceaux au rabais ont à peu près traduit quelques scènes de ces chants religieux et nationaux, il a presque toujours un auditoire attentif et des acheteurs nombreux. Ainsi que tous les peuples primitifs, les Bas-Bretons aiment avec passion le chant comme la danse, aussi toute leur littérature consiste-t-elle en chansons sévères ou piquantes. Mais elles sont innombrables, et, promptes à se répandre dans nos campagnes, semblent y avoir des ailes, comme la presse périodique dans nos villes. On en a conclu, et peut-être avec raison, que les Gwersiou seraient un des moyens les plus efficaces d'amener enfin la Bretagne au même niveau que le reste de la France. "

Et, dans le même volume, une gravure de Perrin nous montre le chanteur offrant sa chanson à an groupe de bragou-braz, tandis que quelques femmes achètent des chapelets. Une autre planche du même ouvrage est intitulée : " Les achats au bourg ". Le Guyader qui, en 1915 a ajouté des commentaires à la réédition du livre, explique la gravure par le paragraphe suivant :

" Le chanteur de complaintes, de Gwerziou est, de nos jours encore. un assidu des foires bretonnes. Celui dessiné ici par Perrin chante en raclant un violon. Souvent ces Homères errants sont des aveugles. A plus d'un demi-siècle de distance (Donc, avant 1865.), j'ai encore devant les yeux la silhouette inoubliable d'un vieux colporteur aveugle qui nous chantait des airs anciens avec des poses de prophète. Coiffé d'un chapeau haut de forme à longs poils, cabossé et inusable, affublé d'une lévite noire rapiécée de partout, il portait sur son dos, à travers bourgades et villages, un sac de soldat, bourré de complaintes et d'images d'Épinal. A cette époque du Second Empire, où nos conscrits partaient pour une éternité de sept ans, la complainte à la mode était celle du "Soudard Yaouank"

Dans sa Bretagne d'hier (Rennes, 1937), Léon Le Berre a tracé un très vivant portrait de Marie Kastellin que la carte postale a rendue célèbre et qui, à ce qu'on nous a assuré, s'appelait de son vrai nom Guillermou ou Guillermit. Nous sommes extrêmement obligés à Léon Le Berre de nous avoir autorisé à reproduire la page ci-après :

" Ils aperçoivent, ( à Locronan), juchée sur un escabeau, lunettes au nez et couplets en main, la chanteuse populaire de Quimperlé, Mari Kastellin. Cette participante obligée de tous les pardons se nomme ainsi parce que, de tous les costumes dont elle fait usage, celui de Chateaulin est son préféré. Elle revêt, d'ordinaire, les atours de la contrée où elle travaille et, aux portes de Châteaulin, aujourd'hui, elle en a arboré le coquet bonnet anses. Demain, dans son logis de la rue Ellé, à Quimperlé, elle sera parée de la collerette ... Près de l'escalier est son petit cabriolet à chiens. Ceux-ci sont couchés entre les brancards, le chariot lui sert d'éventaire. Sur une planche, appesanties par des cailloux de toute grosseur, s'étalent les chansons. Autour de ce campement se pressent les gens. " Daou wenneg ! , Deux sous ! Pour deux sous vous aurez. " Le capitaine et Lanig se faufilent au premier rang. La vieille chante justement la complainte de Ker-Is, car l'histoire du roi Gradlon et de sa fille Dahut, ou Ahès, séduit encore l'imagination populaire, surtout depuis qu'Olier Souvestre la mit en " cadence " :

Carte postale montrant Mari Kastellin et sa voiture à chien.

Petra zo neve e Ker Is
Ma ze ken foll ar yaouankis
Ma klevan-me ar biniou
Ar bombard hag an delennou ?

" Qu'y a-t-il de nouveau à Ker-ls ? - Que tant s'affole la jeunesse - Que j'entends le biniou - La bombarde et les harpes ? "

" La chanson est longue. Le capitaine en a pour quatre sous, mais il l'emportera là-bas, au pays provençal, et se promet de la produire dans les félibrées, pour " leur faire voir ce que c'est que les Bretons, Té. "

" Mari Kastellin l'invite à acheter aussi Ar bewar element, compendium de tout savoir, et encore Skiant naturel. Mais le capitaine se juge satisfait de la Vill d'ls. Mari Kastellin, dépitée, remonte sur son escabeau, avec une malédiction pour les " chiens " de la ville (chass-kear)..

 

Chanson an seiz skiant naturel (La chanson des sept savoirs naturels) est toujours chantée sous le titre "Appolon, Mercurius", par de nombreux chanteurs de kan ha diskan, en particulier par les Frères Morvan. Cette chanson a été composée par Gilles MORDRELLET de Lanrodec, à l'age de 23 ans ainsi qu'il l'indique dans le texte. Le texte très long, plus d'une centaine de quatrains, est typique des chansons de clercs avec ses nombreuses citations de personnages de l'Histoire antique et de la Bible et surtout l'emploi du français bretonnisé, le "brezhoneg belleg".Le thème en est assez classique. Après une longue invocation à des personnages historiques, bibliques et des dieux ou demi-dieux de l'Olympe, L'auteur raconte le chagrin qu'il a eu de ne pouvoir de se marier avec une jeune fille faute de l'accord des parents.

 

 

 

 

 

" Maintenant les lunettes chevauchent à nouveau le nez. La chanteuse semble lire. N'en croyez rien, car elle ignore toute " Croix de par Dieu ". Mais de la grandeur des lettres et du format, Mari Kastellin connaît ses chansons, et les petits imprimeurs de la région se garderaient bien d'y modifier quelque chose. Si elle chante, c'est pour enseigner le ton, prête d'ailleurs à s'interrompre dès que l'acheteur se décide. Alors la monnaie tressaille de joie dans la poche de son tablier.

 

Carte postale montrant Mari Kastellin en pleine action.

 

Aujourd'hui, malgré la commande du capitaine, le commerce ne va guère. La clientèle est plus soucieuse de cantiques que de chansons. Heureusement, Mari Kastellin y a pensé. Elle tire de sa petite voiture des paquets de Peden da zant Ronan et de la fameuse Gwerz du saint. Et les sous de pleuvoir!" Mais l'heure s'avance. Mari Kastellin s'en voudrait d'empiéter sur les droits de l'irritable thaumaturge... A chacun son lot, ici-bas et là-haut! Et bientôt l'attelage aux chiens emporte la chanteuse par les campagnes du Porzay. "

 

 

 

 

 

Auguste Dupouy, dans ses Chants de la Traversée, recueil de poèmes qu'il vient, en 1942, de publier à Rennes aux Editions de la Table Ronde, a évoqué incidemment les silhouettes de quelques vendeurs de chansons rencontrés par lui au temps de sa jeunesse :

Aux pardons de chez nous -- ceux des champs, ceux de la mer,
Les chanteurs qui s'en vont de Tréguier à Quimper,
Sortant de leur bissac ou la Gwerz on le Sone,
Avec leur fort accent, leur geste monotone,
Scandaient devant le même auditoire ingénu
Des récits d'un parler que tu n'as pas connu.
Et j'écoutais leurs voix rudement cadencées
Dérouler en nos bourgs de moindres odyssées.

(Médaillon classique, où Dupouy, s'adressant à -Homère, rapporte comment une familiarité d'enfance avec les chanteurs populaires de Bretagne lui a permis d'entrer sans effort dans l'intimité du poète grec.)

La traductrice en langue anglaise du Pays des Pardons de Le Braz, Mme F. Gostling qui a traversé la Bretagne en tous sens, a aussi dans son livre anglais : " The Bretons at Home " dont la première édition date de 1909, décrit une scène de pardon à laquelle elle a assisté en 1906 à Rumengol :

" Au pardon, le dimanche de la Trinité, les bardes en guenilles s'assemblent à Rumengol où ils se sont rendus, de loin ou de près. Je me souviens d'un d'entre eux, tel qu'il était assis avec sa femme, derrière un étalage ou s'entassaient des piles de chansons sur feuilles volantes. Et le couple chantait de toutes ses forces, an bénéfice d'un groupe de jeunes paysans qui, ayant acheté le texte des paroles, étaient là très occupés à apprendre les airs tels que, probablement, ils s'étaient traditionnellement transmis, depuis bien des générations. Peu importait aux disciples que le mari chantât sur un ton et son épouse sur un autre entièrement différent. Peu leur importait à ces élèves que les voix des maîtres fussent rauques et dures comme sont les notes du biniou, l'instrument préféré des Armoricains. Ces jeunes gens voulaient des airs, des airs qui leur permissent de chanter ces chansons dont les poches de leurs vestes bleu ciel étaient déjà toutes bourrées. "

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CHANSONS EN BRETON SUR FEUILLES VOLANTES